La petite histoire des mots
Invective

Le divorce est manifestement consommé entre Donald Trump et Elon Musk. Autrefois complices, le président du pays le plus puissant du monde et l’homme le plus riche de la planète échangent désormais des menaces et se répandent en « invectives », autrement dit, selon la définition du dictionnaire, en « discours injurieux », et en « paroles violentes ».
Chez les Romains, sous la République, l’invective, synonyme de blâme ou de critique, portait le nom de « vituperatio ». Il s’agissait d’une technique oratoire visant à dénigrer l’adversaire. Elle s’opposait à l’éloge qui portait le nom de « laus ». Dans son traité rhétorique « De inventione », l’orateur, écrivain et homme d’Etat Cicéron définissait trois types de « vituperationes » : celles qui portent sur le « corpus », l’apparence physique de la personne ciblée ; celles qui frappent l’« animus », son âme ou son esprit, et enfin celles touchant à ses « res extraneae », ses réalités externes, par exemple son lignage, sa fortune, ses relations, son action, etc.
En français, « vituperatio » nous a donné le substantif « vitupération », apparu dans notre langue dès le XIIe siècle, sous la forme « vituperaciun », qui désigne un blâme ou un reproche particulièrement violent ; ainsi que le verbe « vitupérer » qui, au XIVe siècle avait le sens de faire injure ou d’outrager, et qui signifie de nos jours critiquer vivement ou élever de violentes protestations contre quelqu’un ou quelque chose.
Le mot « invective » qui, du vieux français est aussi passé à l’anglais, est un peu plus tardif. Il apparaît au début du XVe siècle pour désigner un discours violent et emporté. Son origine ? Eh bien, il est issu de l’expression « invectivae orationes », débarrassé de sa seconde composante, et qui, en bas-latin, définissait un discours violent ou injurieux. Le mot latin « invectum » est un dérivé du verbe « invehere », qui signifie « se déchaîner contre (quelqu’un) ». En d’autres termes, ce mot évoquait l’idée d’une parole ou d’un discours agressif et violent.
Selon la linguiste et universitaire Joëlle Réthoré, « l’invective s’appuie, dans son expression même, non seulement sur les organes de la parole mais sur le corps tout entier ». De plus, selon elle, « l’invective serait un signe (relatif) de virilité, (…) les hommes se mettant plus volontiers en colère publiquement que les femmes, dans le domaine du pouvoir (hors sphère privée) ». En outre « n’invective pas qui veut. Il faut être – ou se croire – doté d’une certaine légitimité à s’exprimer fortement, être autorisé par un groupe social ou culturel à contester publiquement les actes d’un autre ».
Voilà qui colle parfaitement à ces mâles aux egos hypertrophiés que sont messieurs Trump et Musk !
Selon le philosophe franco-roumain Emil-Michel Cioran l’invective ne serait cependant qu’« un ultimatum de l’impuissance », le recours à des paroles violentes ou injurieuses ne révélant, en fin de compte, qu’une pathétique et suffocante incapacité à agir…