Cinéma – « Spectateurs ! » de Arnaud Desplechin

Montrer le cinéma sous toutes ses facettes et par tous les moyens : ainsi pourrait être décrite la tentative d’Arnaud Desplechin à l’œuvre de « Spectateurs ! ». Le film place côte à côte un récit d’apprentissage fictif, des extraits de film commentés en voix-over, des interview type micro-trottoir et la rencontre avec deux figures fondamentales pour la vie du spectateur qu’est le réalisateur.
Les fils du souvenir
Il y a d’abord un récit d’apprentissage porté par le personnage de Paul Dédalus, l’alter ego de Desplechin déjà protagoniste de Trois Souvenirs de ma jeunesse (2015). Incarné par quatre acteurs dans « Spectateurs ! », il est montré à différentes étapes de sa vie de spectateur, toujours basée sur les souvenirs du réalisateur. Cette partie fictionnelle du long-métrage s’apparente à un film d’époque nostalgique, à l’image irisée. Elle rend compte de la découverte de la magie des salles de cinéma, de cet espace clos qui ouvre sur le monde tout en nous en préservant. Le découpage souligne des détails qui sentent le souvenir, tels que les petits tickets de l’Arlequin, à Paris. A 22 ans, Paul Dédalus se retrouve sur les bancs de l’université de Censier face au professeur Pascal Kané (Micha Lescot). La reconstitution donne dès lors à voir un cours percutant sur le point de vue du spectateur de cinéma, mis en parallèle avec le théâtre, pour en faire un sujet politique. Outre ces instants plutôt réussis, la partie fictive du film hybride fonctionne mal. S’il y a parfois quelque chose de très émouvant quand un ou une cinéaste décide de mettre ses souvenirs en images, la mise en scène subit ici une sorte d’artificialité qui crie à qui la regarde ce que le réalisateur tente de nous raconter. Les images à l’esthétique contestable n’aident ainsi pas à fondre le récit dans la trame plus globale du film.
Film collage et traces de colle
Pour rendre compte de l’aspect profondément démocratique du cinéma, Desplechin insert vers le début de son film des extraits d’interview face caméra de spectateurs et spectatrices anonymes. Tour à tour, ils évoquent leurs habitudes de cinéphiles. Ce qui s’apparente à une vidéo youtube journalistique est posée là, remplit sa fonction dans le grand collage qu’est « Spectateurs ! ». Car en plus des deux matériaux déjà évoqués, le réalisateur ajoute encore des séquences se rapprochant plus de l’essai. Il appose ainsi sa voix-over sur des extraits de film, afin de réfléchir à l’énigme qu’est la réalité filmée et projetée. Ces parties qui s’inspirent notamment de « Histoire(s) du cinéma » de Godard sont assez passionnantes, vertigineuses et riches. Cette voix-over écrite et parfois improvisée par Desplechin en se plongeant dans les images entremêle bien les visées de son film, à savoir de lier son histoire personnelle à celle du cinéma.
En plus de cela, le film présente la rencontre du réalisateur avec deux figures importantes pour son rapport au cinéma, à savoir Shoshana Felman et Kent Jones. Peut-être aurait-il pu dès lors se concentrer sur ce qui marche dans son film, à savoir les réflexions en voix-over posées sur des images de film.
« Spectateurs ! » Fiction d’Arnaud Desplechin, France, 2024, 88’, VF, 16/16 ans
A voir au cinéma d’Oron, sortie mercredi 15 janvier 2025.