La petite histoire des mots
Guillotine
Mort la semaine dernière à l’âge de 95 ans, l’avocat Robert Badinter, ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, est entré dans l’histoire pour son combat contre la peine de mort et pour avoir obtenu son abolition, en France, en 1981. En 1976, grâce à sa vibrante plaidoirie, il avait déjà sauvé de la guillotine le criminel Patrick Henry, qui avait assassiné un petit garçon de 7 ans, une année plus tôt.
La « guillotine », machine à décapiter de sinistre mémoire, doit son nom au médecin Joseph-Ignace Guillotin. Mais contrairement à certaines idées reçues, ce n’est pas lui qui l’a inventée, en pleine Révolution française. Alors qu’il présidait le comité de salubrité de l’Assemblée nationales constituante, il obtint, en 1791, que la décapitation soit introduite comme unique moyen pour exécuter les condamnés à mort. L’appareil qui porte son nom, inspiré d’anciens modèles de machines à décapiter, fut mis au point par le chirurgien militaire Antoine Louis, puis fabriqué, une année plus tard, par Tobias Schmidt, un facteur allemand de clavecins installé à Paris.
Paradoxalement, le docteur Guillotin n’était pas un partisan de la peine de mort dont il pensait, voire espérait, qu’elle serait un jour abolie. Son but était, dans une volonté égalitaire, de supprimer les souffrances inutiles aux suppliciés, la mort par « guillotine » étant instantanée. Jusqu’alors, le mode des exécutions dépendait du rang social des condamnés : les nobles étaient décapités au sabre, les roturiers à la hache, les régicides et les criminels d’Etat écartelés, les voleurs roués ou pendus, les hérétiques brûlés sur un bûcher et les faux-monnayeurs bouillis dans un chaudron.
Guillotin fut atterré en voyant son nom associé à cet instrument de mort. C’est dans le but de lui nuire que les rédacteurs du journal royaliste Les Actes des Apôtres employèrent les premiers le mot « guillotine ». Il fut repris, avec la même malveillance, par certains de ses adversaires politiques. Profondément blessé, le médecin se retira de la politique se consacrant aux malades jusqu’à sa mort, en 1814, parlant de la guillotine comme d’une « tache dans sa vie ».
Qui, ici, se souvient encore que la guillotine fut adoptée par la Suisse ? La peine de mort, dans la plupart des cantons, était exécutée par décapitation, généralement à la guillotine. La peine de mort pour les crimes de droit commun fut une première fois abolie en Suisse en1874, puis réintroduite dans la Constitution à la suite d’un référendum cinq ans plus tard. C’est en 1938 que le peuple vota par 53,5 % des voix l’abolition de la peine de mort. Le nouveau code pénal entra en vigueur le 1er janvier 1942. Entretemps, cependant, le 18 octobre 1940 à l’aube, Hans Vollenweider fut exécuté à la guillotine (« Guillotine » en allemand) à Sarnen. Ce Zurichois avait tué par balle un policier obwaldien un an plus tôt. La mise à mort de Hans Vollenweider fut la dernière exécution d’un criminel en Suisse.
La Suisse ne fut pas le seul pays à adopter la guillotine. Elle fut aussi introduite en Allemagne, en Belgique, en Suède et en Grèce. Petite consolation pour le docteur Guillotin, dans ce dernier pays, on lui donna le nom de « karmaniòla », un terme inspiré de mot « carmagnole », cette sarabande de la Révolution française qui était joyeusement dansée par la foule, notamment près des guillotines, après une exécution publique.
Selon un sondage réalisé en 2010, 40 % des Suisses souhaitaient la réintroduction de la peine de mort .