La petite histoire des mots
Fromage

Georges Pop | Les producteurs américains pourront continuer à utiliser l’appellation « gruyère » pour leurs fromages, conformément à une décision de la justice de leur pays, au grand dam des producteurs suisses. Ce coup dur pour l’un de nos plus emblématiques produits nationaux nous donne l’occasion de nous pencher sur l’histoire singulière du mot « fromage » qui désigne un aliment obtenu à partir de produits issus du lait de vache, de brebis, de chèvre, mais aussi, dans certaines régions, de bufflonne, de jument, de renne ou de chamelle. En fait, tout est parti du mot grec « phormos » qui a donné le latin « forma » qui signifie « former » ou « mouler ». Chez les Romains, grands amateurs de fromage, dont ils ont amélioré les techniques de production, on employait le mot « caseus » pour désigner le fromage, mais on utilisait aussi souvent l’expression « caseus formaticus » qui signifie littéralement « fromage moulé » ou « fromage fait dans un moule ». Dans la langue française, seul le deuxième mot est resté, mettant l’accent sur la « formation » du produit sorti d’un moule. Au XIIIe siècle, on faisait cailler le lait dans des récipients à parois perforées pour l’égouttage. On parlait alors de « formage » ou de « fourmage ». Le siècle suivant, par métathèse, c’est-à-dire par inversion des lettres ou des syllabes, le mot se transforma en « fromaige » pour finir en… « fromage » ! C’est donc bien le récipient et le fait de « mettre en forme » le lait caillé qui, en français, comme d’ailleurs dans l’italien « formaggio », ont donné son nom au fromage. Le terme latin « caseus » n’a pas été perdu pour autant. Dans notre langue, il a donné le mot « caséine » qui nomme la protéine présente dans les composants azotés du lait. De plus, dans des langues qui nous sont proches, les dérivés de ce terme latin désignent toujours le fromage. C’est le cas du « Käse » allemand, du « cheese » anglais, du « kaas » neerlandais, du « queso » espagnol ou encore du « queijo portugais ». Autrefois en vogue, deux expressions françaises intégrant le mot « fromage » sont aujourd’hui en voie de disparition : « Entre la poire et le fromage » date du XVIIe siècle, lorsqu’on mangeait d’abord les fruits – la poire étant le fruit le plus commun – avant les poissons, la viande et enfin le fromage. A l’origine, l’expression signifiait « vers la fin du repas », à un moment plus propice aux discussions. L’expression s’est ensuite généralisée pour signifier « à un moment libre entre deux évènements ». De son côté, « En faire tout un fromage » signifie « s’agiter pour pas grand-chose ». Cette locution apparue au XXe siècle viendrait de l’idée qu’à partir d’une chose aussi simple que le lait, on peut obtenir un produit très élaboré comme du fromage, puisque passer du lait au fromage, c’est passer de l’anodin au complexe. Comment terminer cette chronique sans mentionner la si célèbre citation du Général de Gaulle qui gouverna la France d’une main ferme et contribua à sa grandeur, avant d’être écarté du pouvoir en 1969 : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? » Aux dernières nouvelles, il existe désormais quelque 1800 variétés de fromage en France. Un chiffre qui, chez nos voisins, promet peut-être de belles dégustations, mais aussi passablement de migraines au vainqueur des prochaines élections présidentielles…