Intervenir et en finir
Laurent Vinatier | Ce week-end, un nouvel otage, le Britannique David Haines, a été décapité au couteau par un militant de l’Etat islamique. Les Etats civilisés, unanimement, ont condamné cette barbarie. Toute personne, avec un minimum d’humanité résiduelle, ne peut qu’en faire autant, évidemment. L’horreur n’a donc plus de limite. Le pire cependant n’est pas tant qu’il s’agisse du troisième assassinat sauvage en une quinzaine de jours: le premier déjà était de trop. Ni qu’il s’agisse de nouveau d’un Occidental: les souffrances des chrétiens yézidis, des chiites et de nombreux sunnites d’Irak qui subissent beaucoup plus régulièrement des sorts similaires dépassent l’entendement. La mise en scène et le cérémoniel qui précèdent pourraient prétendre à une place au sommet de l’échelle des atrocités, mais ceux-là diffèrent peu, au fond, des exécutions en place publique, par la guillotine ou par le feu, et des supplices variés que l’on pratiquait chez nous une poignée de siècles en arrière. Non… ce qu’il y a pire dans cet acte infâme, c’est le choc temporel.
Pour la première fois, de nos jours, nous, ici, sommes confrontés et rattrapés par ce qu’à force de guerres, de sacrifices et de carnages, nous avions réussi à abolir, à rendre caduque et à repousser aux limites de l’impensable: l’inhumain dont nous sommes extirpés, la dernière fois en 1945, nous revient ainsi en pleine face; le moyen-âge, dont la relégation dans l’Histoire, nous a coûté tant d’efforts, nous happe encore. D’aucuns diront, sans doute, que les Américains, qui parlent et agissent – c’est bien connu – au nom de tous les Occidentaux, l’ont bien cherché quand même avec Guantanamo, Abu Ghraib, l’intervention en Irak, les interrogatoires des services secrets à base de waterboarding (ou technique de la noyade). Peut-être, certes… Mais enfin la comparaison (qui n’est en elle-même pas très pertinente, car Abu Ghraib et Guantanamo demeurent injustifiables) ne tient pas une minute à vrai dire. Personne ici, depuis les guerres de religions, n’a encore revendiqué l’usage public de la décapitation d’un non-soldat au couteau de boucher, au nom d’un idéal religieux.