Mémoires d’une écolière à l’Abbaye-aux-Bois à Paris
Luc Grandsimon | Le château d’Oron et l’Association pour la conservation du château d’Oron continuent à nous étonner et nous faire rêver avec la publication en langue de Molière de la jeunesse d’Apolline Hélène Massalka.
Une incroyable découverte sur le web
Le président de l’ACCO, André Locher, est toujours à l’affût de ce qui touche de près ou de loin le château d’Oron. Voici que lors de recherches sur internet, André Locher découvre qu’il existe un livre écrit en polonais retranscrivant une partie de la jeunesse d’Apolline Hélène Massalka. Aussitôt commandé, André Locher découvre que ce livre comporte un chapitre en français dans lequel est cité le château d’Oron. Pour ceux qui l’auraient oublié, la majeure partie des livres qui se trouvent dans l’incroyable bibliothèque du château d’Oron proviennent de la collection d’Apolline Hélène Massalka. Ces livres furent rassemblés plus tard par Adolphe Gaïffe qui, avec sa famille, était propriétaire du château jusqu’en 1936.
En moins d’une année, André Locher et Malgorzata Ewa Kowalczyk éditent les traductions d’Ana Pikor-Poltorak constituant ainsi le premier livre publié du château d’Oron.
Une jeune fille espiègle
Le livre est plus qu’un recueil, c’est un véritable témoignage de l’enfance d’une jeune fille et de son apprentissage de rôle de maîtresse de maison. Un saut rafraîchissant dans le temps avec des écrits drôles et naïfs d’une enfant de cette époque.
Ce genre de mémoires sur l’éducation d’une maîtresse de maison de cette époque est très rare voire unique. Ce livre de 300 pages ne peut être acheté qu’au château d’Oron et a été tiré à 500 exemplaires.
Les futurs événements du château
Nous rappelons que les activités du château sont toujours aussi nombreuses.
Les soirées «Meurtres& Mystères» continuent. Vous pouvez retrouver le calendrier des prestations à cette page: http://www.swisscastles.ch/Vaud/Oron/mm.html
Deux brunchs sont organisés respectivement les 17 août et 28 septembre à 10h30. L’inscription à ces brunchs est ouverte à tout le monde, il suffit de prendre contact avec le secrétariat du château (www.swisscastles.ch/decouverte.html)
Pour clore les événements gastronomiques, un banquet sera aussi organisé le 6 décembre.
Le marché artisanal au château aura lieu le 7 septembre. Nous en reparlerons puisque c’est ce jour qu’aura lieu la première visite libre du château. Le président André Locher rappelle que le comité est toujours en quête de bénévoles pour faire de la surveillance dans les chambres. «C’est une bonne occasion de faire vivre le château».
Ce concept, déjà évoqué lors de la dernière assemblée de l’ACCO, permettra ainsi aux visiteurs de rester, s’ils le désirent, toute la journée au château, de son ouverture à sa fermeture. Un bon moyen de flâner dans une bâtisse historique.
Pour plus d’informations sur le livre «Mémoires d’une écolière à l’Abbaye-aux-Bois à Paris (1771-1779)» – http://www.swisscastles.ch/memoires/index.htm
Quelques extraits des Mémoires d’une écolière
à l’Abbaye-aux-Bois à Paris (1771-1779)
Je subis, dans ce temps-là, de la part de toute la classe, un châtiment corporel dont je me promis bien de me souvenir longtemps. Je redisais à Mme de Sainte-Euphrasie tout ce qui se passait dans la classe. Et, comme je voyais que cela avait du succès auprès d’elle, j’écoutais tout ce que disaient les pensionnaires pour aller le lui raconter si bien que toutes les classes m’avaient généralement prise en guignon. J’avais alors 9 ans. [Durant ce temps] j’eus une dispute avec Mlle de Nagu. Elle avait pris des petites vies des Saints avec des images que j’avais dans mon tiroir, et elle les lisait. Comme je ne permettais qu’à mes amies intimes de fouiller dans mon tiroir, je me plantai devant elle et je lui dis de me rendre mon livre. Elle me dit: «Non, ce livre m’amuse. Vous n’avez pas envie de le lire à présent. Je vous le rendrai quand je l’aurai fini.» Je ne fus point satisfaite de cela. Je voulus lui arracher le livre, mais, comme elle était plus forte que moi, elle me donna un bon soufflet. Alors, au lieu de le lui rendre, je me mis à pleurer et allai me plaindre à Mme de Saint-Pierre, première maîtresse de la classe «blanche», car Mlle de Nagu était une demoiselle de cette classe. La maîtresse, voyant que j’étais en larmes et que ma joue était rouge, appela Mlle de Nagu, lui ordonna de me faire des excuses et la condamna à être privée de dessert à souper. Tout le monde plaignit Nagu, d’autant plus que je n’étais point aimée. Tout le monde m’appelait une rapporteuse et l’on chantait à mes oreilles: «Rapporti, rapporta, va-t’en dire à notre chat qu’il te garde une place pour le jour de ton trépas.» En passant, toutes les demoiselles me tapaient, me pinçaient, me donnaient des coups de coude et me disaient: «Va-t’en donc te plaindre !» Quand les maîtresses pouvaient les voir, elles prétendaient: «Mademoiselle, je vous demande bien de me pardonner, je ne l’ai pas fait exprès.» Enfin, je puis dire que j’étais malheureuse comme les pierres, mais ce n’était pas tout. Mlle de Choiseul, mon amie, et Mlles de Conflans étaient absentes; on inoculait la première et les deux autres étaient à la campagne, ainsi je n’avais aucun soutien en sortant du réfectoire. C’était la coutume de faire la course pour arriver à la classe. Les maîtresses restaient pour lors en arrière. Au lieu de rester près d’elles, car ainsi on n’aurait rien pu me faire, j’eus la bêtise de courir une des premières. Je me trouvai malheureusement près de Nagu qui me dit: «Ah ! je te tiens !» Et, en même temps, elle me donna un croc-en-jambe et me fit tomber sur le nez. Alors, toutes ces demoiselles se mirent à sauter par-dessus mon corps, ce qui fit que j’attrapai tant de coups de pieds que j’en étais moulue quand les maîtresses vinrent à moi. On me ramassa et on m’envoya coucher. Il n’y avait pas moyen de punir les auteurs de mon mal, car c’était toute la classe. D’ailleurs, quand on interrogeait quelqu’une de ces demoiselles, elle répondait: «Moi, je ne l’ai pas vue, elle était par terre, je ne l’ai pas fait exprès.» J’eus encore une semonce de Mme de Rochechouart aux oreilles de qui cette histoire parvint. Elle me dit: «Si vos compagnes vous aimaient, pareille chose ne vous serait arrivée. Il faut que vous ayez de grands défauts de caractère pour que toute la classe soit contre vous.» Depuis ce jour-là, je n’ai jamais redit la moindre chose à ma maîtresse et je devins si bonne camarade que tout le monde m’aimait, même Nagu, avec qui je fus depuis fort bonne amie que nous aurions été au feu l’une pour l’autre.
Ma bonne fut en ce temps-là bien en colère contre moi. Nous
avions un chat qui aimait extrêmement ma bonne, et même moi, car, quoi que je lui fisse, il ne m’avait jamais griffée, bien que je l’aie souvent assez mis en colère pour qu’il feulât comme un possédé. Ce chat s’appelait la Grise. Une fois, Mlle de Choiseul et moi, nous mangions des noix au bout du petit corridor qui aboutissait aux commodités du vieux bâtiment. Nous nous étions assises sur les marches qui étaient là. Par malheur, la Grise vint à passer: je l’appelai, elle vint à nous, et, tout en la caressant, l’idée nous prit de lui attacher des coquilles de noix aux pattes. Mlle de Choiseul avait des faveurs1 dans son carton de fils. Nous exécutâmes ce projet, et la Grise était si drôle, car elle ne pouvait pas se tenir debout. Nous poussâmes de si grands éclats de rire que ma bonne et Mme de Sainte-Monique nous entendirent de ma chambre; elles descendirent et trouvèrent la Grise dans cet état. Ma bonne était prête à pleurer, elle me gronda beaucoup et me renvoya en classe. Mais ce n’était pas tout. La Grise couchait toujours sur le lit, à côté de mes pieds, parce que ma bonne disait que cela me tenait chaud. Ce soir-là, quand ma bonne fut couchée, comme j’étais fâchée contre la Grise, car j’avais été grondée à cause d’elle, je me mis à lui donner des coups de pieds, si bien qu’elle descendit de mon lit. Alors elle alla se coucher dans la cheminée. Au bout d’un moment, je mis la tête hors du lit pour voir ce qu’elle faisait. Lorsque je vis ses deux yeux briller dans la cheminée, cela me fit peur, et je pensai que, si je me réveillais dans la nuit et voyais ses yeux, je ne saurais ce que c’était. Je me levai donc, allai la prendre et, ne sachant où la fourrer, j’ouvris tout doucement l’armoire et je la mis dedans. Alors la pauvre Grise se mit à miauler et à gémir si fort que ma bonne se leva, ne sachant ce que c’était. Elle regarda partout et enfin elle trouva la Grise dans l’armoire. Je fus si bête que je soutins que ce n’était pas moi qui l’avais mise là, et qu’apparemment elle y était entrée toute seule.
Dans ce temps-là, ma bonne laissa sur la cheminée une bouteille d’huile. Avec Mlle de Choiseul, nous découvrîmes qu’en frottant la porte avec de l’huile, on pouvait l’ouvrir sans le moindre bruit. Ma bonne couchait dans la chambre à côté de la mienne. Elle avait coutume, le soir, de fermer la porte à clef et de la laisser dans la serrure. La chambre de Mlle de Choiseul donnait dans la mienne. Elle se levait donc la nuit, venait à mon lit, nous passions nos robes de chambre, nous ouvrions doucement la porte et nous courions la maison toute la nuit, nous amusant à jouer toute sorte de tours, comme de souffler les lampes, de cogner aux portes, d’aller causer chez les novices, d’y manger des confitures, des pâtés et des bonbons que nous achetions en cachette. Quand le jour venait, nous rentrions sans faire de bruit et, le lendemain, il n’y avait pas moyen de nous faire lever. Une fois, nous prîmes une bouteille d’encre et nous la versâmes dans le bénitier, qui était à la porte du chœur; comme ces dames disaient matines à deux heures après minuit et qu’elles les savent par cœur, il n’y avait point d’autre lumière que celle de la lampe qui éclairait bien faiblement. Ces dames donc prirent de l’eau bénite et ne s’aperçurent point comme elles s’accommodaient. Mais vers la fin des matines le jour vint; ainsi, se voyant toutes balafrées d’une manière si étrange, elles se mirent toutes si fort à rire que l’office en fut interrompu. On se douta que ce trait partait de la classe. Le lendemain on fit des perquisitions, mais on ne put jamais savoir qui c’était.