Au volant de sa vie
Lundi 27 juillet 2015. Je travaille à ces «Brèves de hasard». Entre deux lignes, je vais vite glisser une lettre dans la boîte aux lettres qui se trouve devant la maison. Et paf! Je tombe sur Michel, le sympathique chauffeur de bus qui égaie et trimbale toute la région. Avec lui, le trajet en bus se transforme en véritable séminaire philosophique. La vie, l’amour, la mort… chacun se découvre tout à coup savant, simplement parce qu’on l’écoute. Michel est galant avec les dames. Il les fait marrer. Un jour il tourne comme un carrousel sur la place de la gare, juste pour épater une jeune fille. Il connaît les prénoms de ses passagers, comme un bon régent ceux de ses élèves. Il s’enquiert de la santé de chacun. Il s’arrête souvent en dehors des haltes officielles pour déposer une vieille dame juste devant chez elle. Mon papa chauffeur le faisait aussi, y compris pour les paysannes des fermes isolées! Il s’arrêtait même en pleine côte pour cueillir une chanterelle. De même, Michel cueille les bons moments de l’existence et les partage dans un savoureux langage, plein de sollicitude. «Tout ce petit monde me nourrit… et me donne soif!» me confie-t-il devant un demi de rosé à la piscine de Chexbres après le service. «Il suffit de s’écouter, de se respecter, de s’étonner et le miracle de la vie advient pour tout un chacun.» Un matin de printemps le bus soudain stoppe net au milieu d’Epesses. «Panne!» annonce-t-il gravement. «Il vous faut tous descendre et vous débrouiller. Faites du stop! Le moteur est kaputt.» On s’exécute, un peu abasourdi. Mais, coup de théâtre et de klaxon! Le bonhomme nous rappelle: «Poisson d’avril!», avant de réembarquer tout le monde dans un grand éclat de rire général.
Cependant, la joie authentique de cet homme n’est pas l’écume d’un jour. Elle provient des tréfonds de son être qui a connu le calvaire de l’incompréhension et du mal d’amour. Il s’en est relevé grâce à la confiance d’une amie. Le voici à nouveau au volant de sa vie, conduisant toute une joyeuse troupe sur la Corniche enchantée du pays de Lavaux. Et ça klaxonne comme dans un mariage: Titata, titata !
Pierre Dominique Scheider – Extrait de son nouveau livre « La joyeuse hypothèse », publié aux Editions Ouverture, 2017