Les oies de l’île Rousseau Xochitl Borel – Editions de l’Aire
Milka | «La femme qui lui ouvrit aurait pu être belle sous une autre lumière. Ailleurs, dans un autre décor que ce cadre de porte d’où s’échappait le bruit d’une radio; ailleurs, loin des néons qui soulignaient ses cernes comme deux lunes noires. Il pensa à la lumière, mais aussi à cette peur d’être vue et qui fait qu’on renonce à sortir, mais ce n’est pas qu’à cela qu’on dit adieu; c’est à la caresse du soleil, c’est au vent et aux chants des oiseaux, même si parasités par le ronronnement des moteurs de voitures; tout au bout, c’est la liberté qui s’en va, quand on a peur du dehors.
– Majda Mahfouz?» C’est une sorte de polar qui nous est livré. Polar soft, certes mais tout de même un polar car jusqu’au bout l’auteure nous balade en mettant l’accent sur certains personnages qui deviennent centraux, nous laissant supposer une certaine intrigue, pour soudain se concentrer sur d’autres, nous laissant étonnés. Ce qu’on peut dire de ce livre, c’est qu’il représente avant tout une photographie de cette société, plus particulièrement sur ces hommes et femmes anonymes que nous côtoyons tous les jours, la seule différence entre nous étant que nous avons des papiers, un statut, une nationalité, un permis d’exister et que eux n’en ont pas. Ils sont arrivés là après de longs périples, attirés par un monde qu’ils imaginaient disponible et accessible à tous. Mais nous en sommes encore loin.
Dans cette Genève internationale où tout le monde peut passer inaperçu, on va faire connaissance de tous ces personnages aussi différents les uns que les autres. Il y a d’abord Elliot, ce flic cabossé par la vie et trop sensible pour ce métier. Puis vient Eva, psychiatre, qui rêvait d’être dresseuse d’oies dans son enfance. Il y a aussi cette petite patiente qui ne parle pas et que sa mère dépose toutes les semaines au pied de l’immeuble pour ses séances. Mais aussi Tsyori, venue de Madagascar, à laquelle Elliot va s’attacher. Puis Majda, folle de littérature et plus spécialement de poésie. Et Farid et Mehran, deux frères dont un se suicide et qui seront confondus par la police. Tous ces personnages ont en commun la solitude et l’anonymat. Sauf que certains se sentent plus légitimes que d’autres puisque eux ont le droit de séjourner dans cette ville du bout du lac.
Vraiment ce roman vaut le détour et ce n’est que le deuxième roman de cette auteure qui a déjà publié «l’alphabet des anges». On sent d’ailleurs chez elle ce côté social, anarchiste, qui refuse les «critères» de la bonne société, préférant s’intéresser aux laissés pour compte. Une bonne dose d’humanité à mettre entre toutes les mains. Un roman réaliste mais sans tristesse. Juste réaliste.