3/3 – « Jeudi 12 », 50 ans d’une légende vivante
Daniel Voruz est navigateur, architecte et constructeur naval. Il a porté tout au long de sa carrière un soin particulier à ses réalisations. Il a aimé son métier. Il est aussi excessivement modeste. Les voiliers issus de son chantier, les Jeudi 12 et 6.5m, ont brillamment concouru sur les différents plans d’eau du lac et au-delà. La proximité de l’ancien chantier avec Moratel, la sympathie du constructeur naval et l’excellence des voiliers nés de son savoir-faire nous incitent à faire connaître ici l’histoire d’un magnifique voilier au palmarès prestigieux, le Jeudi 12.
Bernard Dunand, médaillé d’argent avec Louis Noverraz et Marcel Stern aux JO de 1968 à Mexico à bord de Toucan IX dans la catégorie des 5.5 mètres JI, et Clemens Weibel naviguèrent à bord de ce premier Jeudi 12, et tous deux en ont apprécié le comportement qui se révéla redoutable, également par temps frais. En 1975, fort de son palmarès, le voilier fut même présenté au Salon du Tourisme et des Loisirs à Lausanne. Kurt Kreis, de Genève, tomba amoureux du voilier et passa la commande qui marqua le début de la série. Elle fut mise à l’eau le 8 juillet 1976 et baptisée Tahoe. Cette commande en entraîna une troisième, destinée à Jean Genoud, la dernière unité en bois moulé.
Durant l’été 1978, le navigateur genevois contacta Daniel pour l’étude d’un Super Jeudi 12, ce qui nécessita le retour à la planche à dessin de Daniel. Le plan prévu d’une longueur de 12.50 mètres répondant aux vœux de Kurt ne sera pas réalisé, Daniel souhaitant une longueur maximale de 10 mètres correspondant à la limite d’une classe au Bol d’Or.
Le coût de ces réalisations minutieuses amena Daniel à prévoir d’autres procédés de construction pour maintenir des prix abordables, et un moule fut réalisé sur un proto de Jeudi 12, légèrement réactualisé (plus stable et confortable, mais à gréement identique) en prévision d’une plus grande diffusion. Le Genevois finança le projet de futures unités projetées en polyester. Clemens Weibel fournit le conseil d’une construction de type sandwich, ce qui a convaincu Daniel d’adopter ce procédé. Trois commanditaires indispensables pour la réalisation du projet furent trouvés en les personnes de MM. Lutz, Rapin et Cachelin. Le premier Jeudi 12, de la nouvelle génération fut Walhalla, mis à l’eau le 1er janvier 1979 et qu’on voit régulièrement au départ de régates.
La ligne tendue, la finesse de barre et la beauté intemporelle n’ont pas démodé ce bateau. La douceur des formes, certains parleront de sensualité, une rondeur dans les fonds en ont fait un voilier rapide et confortable, doux dans la marche et le passage des vagues. Lignes tendues à l’avant, tonture légèrement inversée, le voilier donnait de suite l’idée de performance et de rapidité. « Rien n’y était superflu, rien n’y était inefficace », a-t-on pu lire dans Yachting de février 1983.
Les numéros de voile
A ce jour, la flotte des Jeudi 12, compte 16 unités, dont 5 sont amarrées à Moratel. L’association des propriétaires s’apprête à fêter l’an prochain le cinquantenaire de la série. L’association étant ultérieure, il s’agit de la commémoration du tout premier, et qui donna le nom à la série, Jeudi 12 en 1973 dont le numéro de voile était Z 612.
A propos des numéros de voile, la jauge ABC distribuait les numéros par centaines. Le passage à la jauge « Swiss Rating System » (SRS) qui donne un numéro unique, par ordre de grandeur à chaque série selon l’ordre des constructions, attribua à Jeudi 12 le numéro 1. Mais selon Daniel, les frères Blondel auraient souhaité le numéro 12.
Jeudi 12, nouvelle génération
Une nouvelle évolution de Jeudi 12, entièrement en composite marquant la troisième génération de la série, commença avec Griserie et El Paso, respectivement commandés par François Dufour et Pierre-Alain Parisod. François Dufour se souvient d’un joyeux quiproquo. Il allait recevoir en 1985 la première unité commandée en même temps que Pierre-André Parisod. Alors qu’il ne restait que la couleur à choisir, François souhaita le gris, Pierre-Alain le vert. Daniel s’en étonna, n’ayant pas compris qu’il s’agissait de deux unités différentes. Ces deux voiliers n’ont pas changé de famille ou de propriétaire et naviguent toujours à Moratel, Griserie remportant encore de nombreuses régates de club.
Sept unités allaient suivre, avec Red Arrow (le seul Jeudi 12 à avoir connu l’eau salée, Fièvre jaune (qui régate toujours à Lutry), Kaceann (ex Pa Ni Ca), Exotic Light, Séduction (ex-Amadeus), Pily et Nuance (ex Non Filtré).
Le côté chatouilleux disparut dans ces nouvelles unités tandis que ce nouveau « Racer » confortable gonfla en puissance. Pierre Liechti, à la tête de l’entreprise Polyester industriel à Moutier, rodé dans la pratique des résines synthétiques, en réalisa toutes les coques en sandwich-polyester, un procédé qui allie rigidité et légèreté.
Conclusion
Ce qui passionnait surtout Daniel, c’était le calcul des masses et la résistance à l’effort.
Que peut-on retenir de tout ceci ? Pour qu’un projet se réalise ou passe de la planche à dessin à la concrétisation, il faut un moteur, quelqu’un qui soutienne le projet et en permette la réalisation. Mais peut-on parler d’un seul moteur, alors qu’une conjonction de personnes, d’efforts et de circonstances ont rendu le projet possible ?
Lequel du projet initial des frères Blondel, du financement, de la volonté de réussir un projet, du concours de professionnels compétents, de clients satisfaits l’emporterait ? Je crois que comme tout projet, comme toute réalisation, l’union des compétences, des amitiés, des respects mutuels font que la réussite ne s’obtient souvent que par la volonté commune de la réussite.
Que 16 unités naviguent encore 50 ans plus tard, dont certains se distinguent encore en régates, témoigne du succès de cette unité. Nous concluons donc cette série d’articles par un commentaire de Daniel : « Ce fut une aventure fabuleuse, développée grâce à l’amitié de passionnés de la région ».
Sources : Skipper, plaquette Jeudi 12, Daniel Voruz, George-André et Nicole Blondel
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