« Nègre »
… Comme dans les « Dix petits nègres ».
Le changement de titre du célèbre roman d’Agatha Christie est le reflet de notre époque. Ce sont bien les ayants droit des œuvres littéraires et médiatiques de l’auteure qui ont fait ce choix arguant qu’il ne fallait pas utiliser des termes qui risquaient de blesser. Agatha Christie Limited a agi de manière préventive, sentant sans doute qu’en ces temps, il valait mieux chercher l’abri dans le monde du politiquement correct.
Suite logique de la décision de HBO de retirer de son catalogue « Autant en emporte le vent » plus de 80 ans après sa sortie, l’on ne peut que constater qu’en l’espace d’une vie humaine les temps ont décidément bien changés.
Reflet de notre époque, ces décisions rendent encore un peu plus frileux les éditeurs, les dessinateurs de presse ou plus simplement ceux dont le rôle est de relater du quotidien. La peur des réseaux sociaux et de leur potentielle violence immédiate en fait réfléchir plus d’un avant de lâcher ne serait-ce qu’un jeu de mot.
A l’heure où, sous la bannière de « liberté individuelle », se rassemblent indifféremment ceux qui ont peur du froid et ceux qui peur du chaud, le langage s’appauvrit. Le terme de « nègre » est donc relégué exclusivement aux textes faisant référence à la période historique des esclavages.
L’ironie veut qu’en français le titre devienne « Il étaient dix » alors que la version américaine publiée en 1940 sous le titre « And Then There Were None » annonçait déjà que « Soudain il n’en restait plus »…
Le constat est douloureux. Il ne reste plus de mise en contexte du livre de 1938, il ne reste pas non plus de second degré ou de mise en abîme, le premier degré entre en force. Appeler un chat, un chat est encore possible… bientôt, il sera de bon ton de l’appeler un non-chien.
La novlangue n’est plus très loin.
Arvid Ellefsplass, rédacteur en chef