Urgence de la coupe
Gil Colliard | Le danger dépisté par les professionnels de la forêt ne laisse pas d’alternative
La forêt suisse fournit du bois, nous protège des dangers naturels, constitue un milieu accueillant pour les plantes, les animaux et offre un espace de détente aux humains. Les professionnels de la forêt et ses propriétaires s’efforcent de lui conserver son état naturel, pour qu’elle puisse durablement remplir ses fonctions. Parfois confrontés à des situations de dégradation péjorant la sécurité, les gardes forestiers doivent prendre des mesures radicales, qui peuvent prendre une ampleur telle qu’elle interpelle une partie de la population.
Conscient de cette problématique, Julien Perey, jeune garde forestier en formation de Bioley-Magnoux, effectuant le second de ses trois stages obligatoires auprès du groupement forestier Broye-Jorat, a bâti son travail de stage en établissant un dossier fort complet et riche en informations sur la planification et la réalisation d’une coupe en forêt privée sur la commune de Ropraz. Voici quelques extraits qui témoignent de l’importance d’effectuer parfois des chantiers en urgence pour éviter l’effet en cascade provoqué par le dépérissement d’un peuplement.
Planification de l’intervention de Ropraz
Au lieu-dit Les Côtes de la Bressonne sur la commune de Ropraz (périmètre de 751 m), dans une zone sensible aux glissements de terrain, des gros bois penchaient dangereusement dans le ruisseau. Afin d’éviter tout risque d’embâcles*, il s’est avéré nécessaire d’éliminer ces plantes, parmi lesquelles de nombreux épicéas bostrychés et d’effectuer une plantation derrière afin de stabiliser la pente. Le chantier en bordure de la route de Berne, la cabane des cantonniers sur la parcelle et la rivière passant sous la route cantonale juste après la coupe, furent autant de spécialités à prendre en compte. Les propriétaires des parcelles privées furent invités à constater sur place l’urgence de l’intervention et donnèrent leur aval.
La futaie composée de nombreux gros arbres fortement penchés, aux couronnes très serrées, retenant la lumière, gênant le développement d’un recrû naturel, se composait majoritairement de résineux. Lors du martelage de la zone, il fut constaté l’instabilité de tout le peuplement. Il fut décidé de solder l’entier de ces vieux arbres et de repartir avec une plantation pur feuillus afin d’augmenter la stabilité des berges.
Le calcul de l’estimation des coûts, Fr. 55’856.60, et des recettes, Fr. 28’468.80, permit l’établissement d’une demande de subvention cantonale de Fr. 21’600.–, couvrant le 100% du déficit prévu pour les propriétaires privés.
Exploitation, vente du bois et plantation
Le chantier a débuté le 13 novembre 2014 sous des conditions pluvieuses, mais s’améliorant par la suite. La coupe de bois, attribuée à l’entreprise forestière Daniel Ruch, s’est effectuée en méthode mécanisée pour la zone plate. Pour la partie en bordure de la route de Berne, des mesures de sécurité adaptées ont dû être mises en place. Une équipe de bûcherons et les machines ont abattu et façonné les troncs mis en lisière de forêt jusqu’au 25 novembre, date de la fin de la coupe. Le débardage a demandé une énorme planification, par manque de place pour stocker les bois. Au final, le bois de service résineux a été sorti en premier et évacué par la scierie Zahnd. Puis le bois à plaquettes pour la société coopérative Bois-énergie Jorat-Broye et le joli bois de feu ont été stockés sur une place intermédiaire.
Au printemps 2015, constatant que les résineux n’ont plus leur place sur cette surface, une plantation pur chêne va être réalisée. Cette essence est un bon stabilisateur et le sol de la parcelle y est adapté.
Dans ses conclusions, le jeune stagiaire souligne encore qu’une non-intervention sur cette parcelle aurait pu engendrer beaucoup de dégâts si le peuplement venait à s’écouler dans la rivière. En effet, la commune de Moudon ainsi qu’en aval, le passage de la Bressonne sous la route de Berne étant à proximité, un embâcle et une accumulation d’eau derrière celui-ci auraient pu avoir de fortes conséquences s’il venait à céder. De plus, faire ces travaux au moment opportun diminue fortement les risques pour les personnes qui travaillent sur un tel chantier. Marc Rod, garde forestier du groupement forestier Broye-Jorat, qui a supervisé son futur collègue, s’est montré entièrement satisfait du travail du jeune homme, autant sur le chantier qu’il a suivi de A à Z que pour son document. «C’est un bon élément et s’il réussit son examen final, il a déjà une place qui l’attend auprès de l’entreprise forestière Daniel Ruch», confie-t-il.
Coupe forestière urgente à la forêt des Daillettes à Pully
Le dossier ci-dessus fait écho à un communiqué de presse reçu de la commune de Pully qui se trouve aussi devant une situation d’urgence. La forêt des Daillettes, sur les hauts de Pully, abrite des chênes séculaires dont la forte inclinaison met en danger les riverains et les promeneurs.
Lors d’une inspection de sécurité des sentiers forestiers, Sébastien Roch, garde forestier du triage de Savigny-Lutry, a dû se résigner, devant l’urgence de la situation, à donner son accord pour la coupe des vieux chênes. Penchant fortement sur les propriétés voisines ces gros arbres présentent une cime déséquilibrée et des signes de pourriture. L’information ayant déjà été communiquée aux bordiers de la forêt des Daillettes, la coupe sera effectuée dans le respect des règles de gestion durable des forêts labellisées de la Ville de Pully. Ces travaux sont jugés extraordinaires par le volume de bois récolté d’environ 430 m³ et aussi par la proximité des habitations nécessitant que certaines soient momentanément évacuées lors des coupes. Le terrain escarpé, le manque de chemin pour le débardage et les conditions météorologiques vont compliquer l’accès au chantier. Le travail délicat sera effectué par des arboristes-grimpeurs. L’équipe mandatée laissera sur place les arbres réduits et le travail final sera exécuté par le service forestier communal. Les premiers travaux ont été prévus dès le 3 février dernier pour une durée de 6 semaines. Les travaux d’abattage seront effectués jusqu’à mi-avril, selon la météo, et les bûcherons communaux attaqueront la dernière phase à la mi-avril.
«Même si je n’ai pas martelé ces arbres de gaieté de cœur, lorsqu’on est conscient d’une telle situation, on ne peut pas laisser les choses ainsi. Des branches tombent déjà et le danger de vivre une situation comme en avril 2005 avec une neige abondante et lourde sur des arbres déjà en feuilles pourrait créer une véritable hécatombe sur ce peuplement», explique Sébastien Roch. Mais fort heureusement, derrière le rideau à éradiquer, se trouve un peuplement sain de beaux chênes. «Bien sûr le paysage va changer mais dans environ 4 ans, une belle lisière étagée buissonnante née du recrû naturel aura pris ses droits pour le bonheur des yeux, des oiseaux et des insectes», se réjouit le garde forestier.
Depuis les années 1970, les chauffages à bois ont été délaissés au profit d’autres énergies, laissant à l’abandon des parties de forêts: terrains en pente ou difficiles d’accès. Parfois, les propriétaires privés, n’éprouvant plus la nécessité d’utiliser les ressources forestières, ne sont plus sensibilisés à leur vieillissement. Aujourd’hui, 40 ans se sont écoulés et des situations pour lesquelles des interventions importantes doivent être faites rapidement sont de plus en plus nombreuses afin d’éviter de sérieux risques d’insécurité.