“Les fantômes des Caraïbes”, un documentaire de Felipe Monroy
On ne choisit pas sa famille, ni le pays où l’on naît
Colette Ramsauer | En 2016, au moment où en Colombie les FARC tentent de faire la paix avec le gouvernement, le réalisateur Felipe Monroy revisite les fantômes de son passé. A Bogota, immersion dans une famille sur fond d’évangélisation.
Retrouvailles
Afin d’objectiver un passé difficile, certains se confient à un psychologue, d’autres prennent la plume. Le réalisateur colombien Felipe Monroy s’empare de la caméra. Dix ans après avoir quitté son pays pour l’Europe, il revient à Bogota envahie par la violence des Narcos: tournage sur un passé douloureux de sa famille, victime d’une guerre intestine et de la toxicomanie. Dans les années 80 – il avait 7 ans – il vivait une peur constante de ne pas voir sa mère revenir après ses longues journées de travail à soigner les riches. A 14 ans, il s’est perdu dans les rues. Jusqu’au jour où il a fui vers l’Europe en 2007 et s’est retrouvé à Genève à étudier à la HEAD. En Suisse, il reprend son souffle et s’intégrera.
Dialogues difficiles
Pour le besoin du film, il demande à Wicky, sa mère, de parcourir le chemin vers son lieu de travail, à travers la ville où les attentats de rues étaient fréquents sous Pablo Escobar. Wicky a élevé seule ses deux enfants Felipe et sa sœur aînée, d’un bras de fer. Sa force, elle l’a toujours trouvée auprès de Jésus Rédempteur. Les dialogues se poursuivent, parfois difficiles avec sa mère, emplis de complicité avec sa sœur qui l’avait en charge alors qu’elle n’avait que 10 ans; avec son père toxicomane, un original qu’il connaît à peine. Ses souvenirs sont ravivés, mais aussi, c’est l’étonnement qui apparaît à l’écoute de faits qu’il ignorait.
Attente de rédemption
Le cinéaste nous présente Bogota par des vues de la mégalopole (9 millions d’habitants) dans une rumeur constante. Il nous promène dans ses rues animées. Selon un sondage, les Colombiens seraient le peuple le plus heureux du monde. On reste dubitatif à la vue d’une guerre qui n’en finit pas, de la drogue à chaque coin de rue qui détruit des vies. C’est vrai qu’une majeure partie du peuple évangélisé attend avec certitude la Rédemption du Christ. Felipe Manroy suit son père, homme instable qui vit au jour le jour. «T’es amis sont tous des nuls. Ils vivent à travers le succès de leurs enfants» lui lance Felipe lorsque son géniteur l’emmène dans un quartier aujourd’hui désert où règne une totale désolation. Jorge raconte à son fils sa vie de petit dealer et de drogué. Une vie ratée.
Se réinventer une histoire
«On ne choisit pas sa famille, ni le pays où l’on naît. Comment réparer l’irréparable» questionne le réalisateur. Le lien du sang reste fort. Pourtant il n’est pas prêt à se réconcilier avec ce père qui l’a abandonné et avec qui aujourd’hui il partage la couche pour garder le chaud. (Bogota se situe à 2640 m d’altitude et les maisons des mals lotis ne sont pas isolées). «Notre peuple a besoin de se réinventer une histoire» dit Felipe alors que les négociations de paix sont en cours dans son pays. En attendant ce miracle, il reconstruit la sienne en Helvétie. Aujourd’hui son film sert de thérapie à sa famille et à lui-même. En invitant ses proches à danser sur un air de musique tropicale du groupe «Los Fantasmas del Caribe», il termine son film sur un Happy End salvateur.
« Los Fantasmas del Caribe » de Felipe Monroe CH, 2017, 89min, 16/16 ans – Cinéma d’Oron le 14 décembre en présence du réalisateur
La désillusion d’un peuple
CR | En septembre 2016, la guerre civile en Colombie, qui avait duré 52 ans et fait 220’000 morts et des millions de déplacés, semblait prendre fin. Le président colombien Juan Manuel Santos et le chef des FARC Rodrigo Londono signaient un accord de paix qui invitait 7000 rebelles en activité à déposer les armes et à former un parti politique. Mais le peuple colombien, avec une participation de 38%, rejetait l’accord avec 50,21% des voix lors d’un référendum le 2 octobre 2016. Les non-votants ressortaient perdants de l’enjeu et malgré l’échec du référendum, Manuel Santos recevait le prix Nobel de la paix 2016 pour ses efforts. La même année le traité avait alors été remanié et signé à nouveau. Le nouvel accord avait pour but de faire baisser le niveau de violence. Aujourd’hui, les Colombiens déchantent. Selon l’ONG Indepaz, 123 défenseurs des droits humains, dirigeants sociaux, défenseurs du droit à l’environnement et membres d’organisations communautaires autochtones auraient été assassinés durant les six premiers mois de 2018. Notons que la Suisse est pleinement investie pour la paix en Colombie en soutenant le processus en cours dans différents domaines.