Leonard Cohen – Ten new songs
Lionel Taboada | Il n’est jamais trop tard pour passer pour un con, c’est qu’une question de volonté! Replaçons la connerie au milieu du village et notons qu’il existe deux sortes de cons; celui qui l’ignore et celui qui l’assume. Si le premier est parfait pour un dîner un mercredi soir, il présente l’avantage de n’être, en général, pas conscient de sa bêtise. Le second, en revanche, assume volontiers son inculture mais la compense par une boulimique soif d’apprendre et de s’instruire. A ce stade, il me paraît donc honnête de t’avouer que ma connerie ne souffre pas des limites que s’impose mon intelligence, en d’autres termes, je fais partie des imbéciles de la deuxième catégorie dont on peut dire sans crainte qu’ils ne vont pas fissurer l’atome, comme dirait l’autre. J’en suis arrivé à ce triste constat alors que toute la presse et les réseaux sociaux – grands pourvoyeurs d’intelligence devant l’éternel – pleurait la musique et la poésie de son plus éminent représentant, Léonard Cohen. Moi qui impose pourtant à mes oreilles un entraînement sonore quotidien, voilà un artiste dont l’écho n’avait pas été détecté par mon radar musical. Souhaitant réparer cette lacune, je me précipite alors vers ma discothèque et là, «Hallelujah», je tombe nez à nez avec la pochette aux couleurs aquatiques du crooner canadien – «Ten new Songs». Chronique d’un disque sorti en 2001 à travers les oreilles d’un profane, vulgairement sous-titré: Leonard Cohen pour les nuls….
Bien loin des traditionnelles ritournelles folks de «Suzanne» ou «So long, Marianne», le Cohen deuxième partie de carrière s’est mué en un poète vénéneux à la voix profonde, imposante. Exit donc cette folk minimaliste aussi excitante qu’une soirée costumée chez Gilbert Montagné, ces morceaux somptueusement arrangés à grand renfort de cordes et de synthés font la part belle aux mélodies désabusées susurrées par la voix rauque du crooner de Montréal. L’album s’ouvre sur le langoureux «In my secret life» réminiscence musicale d’une existence à jamais marquée par le spleen. En 2015, le célèbre magazine «Rolling Stone» titrait: «Léonard Cohen, 81 ans de dépression» voilà qui plante bien le décor. Certes le Canadien possède un sens de la déconne aussi jubilatoire qu’un coup de pied dans les parties mais c’est pourtant loin d’être l’œuvre d’un neurasthénique en bout de piste; j’ajouterai même que certains artistes dit «festif» donnent bien plus envie de se tailler les veines mais je ne citerai personne, j’ai trop de respect pour Justin Bieber. Avec des titres comme «A thousand kisses deep», «By the river dark» ou encore «Boogie street» on est beaucoup plus proche d’une douce mélancolie que de la tristesse à 250 balles la séance chez ton psy. Les cœurs assurés par Sharon Robinson (également productrice) tout au long du disque contribuent pour beaucoup à cette sensation, pendant près d’une heure sa voix danse le slow avec celle du vieux troubadour et ajoute une profondeur qui magnifie littéralement certains titres comme «Alexandra leaving» ou «The land of plenty». Loin d’être représentatif de la carrière du Canadien ce disque constitue pourtant, à mon sens, une excellente porte d’entrée pour découvrir son œuvre. Alors oui, il faut bien que je l’avoue, ça fait maintenant trois semaines que ce foutu disque est littéralement scotché à ma platine et impossible d’en décrocher. Je sens que Léonard Cohen va vite devenir à ma discothèque ce que la mélancolie est sa musique, nécessaire.
David Bowie, Prince, Sharon Jones, Georges Michael & Léonard Cohen; 2016 n’aura pas épargné le talent. Alors fonce découvrir ces artistes majeures et ce soir tu t’endormiras moins… enfin plus intelligent quoi. Quoi qu’il en soit n’écoute pas ce qu’on te raconte, écoute des disques! www.limited-music.ch