Un voyage à travers l’histoire de la gravure
Au Musée Jenisch, à Vevey, jusqu’au 5 janvier 2020

Pierre Jeanneret | Le Musée Jenisch, à Vevey, abrite le Cabinet cantonal vaudois des estampes. Celui-ci renferme une très riche collection complétée, pour les besoins de l’exposition, par les prêts de plusieurs fondations. Rappelons le sens du mot «estampe». Ce terme générique désigne une image multipliable à l’infini, à partir d’une matrice (planche de bois, plaque de métal ou de pierre) qui, encrée, passe sous une presse pour être reproduite sur papier ou un autre support. Le concept désigne donc de nombreuses techniques différentes. Ce sont celles-ci, et non une démarche chronologique, qui organisent le parcours de l’exposition. On verra donc se côtoyer des œuvres allant du XVe au XXIe siècle, figuratives ou abstraites. Que les visiteurs se passionnent ou non pour les techniques elles-mêmes – dont nous ne donnerons pas ici les définitions, car elles figurent dans chaque salle du musée – ils auront l’occasion de voir des pièces d’une qualité artistique exceptionnelle. C’est peut-être la gravure sur bois, en noir-blanc ou en couleurs, avec ses forts contrastes, qui séduit le plus le public. On verra des pages imprimées et illustrées de la Bible, datant de la fin du XVe siècle, et désormais lisibles par un plus grand nombre de personnes que ne l’étaient les manuscrits médiévaux, ce qui a fortement concouru au succès de la Réforme. L’exposition montre quelques chefs-d’œuvre d’Albrecht Dürer, dont Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Mais la gravure sur bois vit aussi naître des réalisations remarquables sous la main de Félix Vallotton ou, plus récemment, de Pierre Aubert, qui a très bien rendu les montagnes vaudoises. Elle fut aussi pratiquée par les artistes japonais du XIXe siècle: on peut voir quelques exemples de paysages nippons. Dürer, génie absolu, fut également un grand maître du travail au burin, avec par exemple son Saint Jérôme dans sa cellule, d’une finesse de traits et d’une abondance de détails extraordinaires. Parfois les graveurs, notamment au XVIIIe siècle, reprirent les sujets des peintres, permettant leur diffusion plus grande dans le public. On reproduisit ainsi des œuvres de Rembrandt, du Corrège ou de Fragonard. L’eau-forte a été adoptée au XVIe siècle. Une œuvre de caractère «didactique» du XVIIe nous montre d’ailleurs comment on imprimait les planches. Ce procédé a été très utilisé par les Italiens, en particulier Lorenzo Tiepolo avec une sensibilité très baroque (mouvement, dramatisation des gestes et des scènes). On trouvera beaucoup de poésie chez Claude Gellée, dit Le Lorrain, avec ses paysages parsemés de ruines antiques. On verra aussi un étonnant portrait de Picasso par lui-même. Autre technique, la pointe sèche a notamment été pratiquée avec un grand talent par Théophile-Alexandre Steinlen et par Edgar Degas. Plus récente, l’héliogravure date du XIXe siècle. Elle a permis par exemple de reproduire la célèbre photo de Dorothea Lange, Migrant Mother (1936), qui résume toute l’angoisse du lendemain pendant la Grande Crise économique. Quant au cliché-verre, il est contemporain de la naissance de la photographie. Il a été très employé par les artistes de l’Ecole de Barbizon, dont Camille Corot. L’aquatinte permet d’utiliser des couleurs variées. On en verra une très belle illustration avec une œuvre de dimensions importantes de Joan Mirò. Comme son nom l’indique, la sérigraphie utilise la soie. Elle a notamment été utilisée par Andy Warhol dans ses portraits de Jacqueline Kennedy. De même pour la lithographie, procédé pour lequel nous avons retenu la belle composition abstraite aux motifs circulaires chers à Sophie Delaunay. Mais cette technique a été employée dans des genres très différents, allant des caricatures d’Honoré Daumier fustigeant les bourgeois incultes aux œuvres oniriques d’Odilon Redon, à l’intimisme de Pierre Bonnard, et même aux affiches publicitaires réalisées par Alphonse Mucha dans le style Art nouveau. On le voit, cette exposition qui compte quelque 300 pièces offre une belle variété, non seulement par la présentation des différentes techniques, mais aussi par les sujets (religieux, profanes, abstraits) et les styles des différentes œuvres, enfin parce qu’elle offre un beau parcours esthétique à travers plusieurs siècles d’histoire de l’art. Et pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances, le musée a publié un utile ouvrage didactique illustré, Petit traité des techniques de l’estampe.
«Rien que pour vos yeux». Les plus belles estampes des collections Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 5 janvier 2020.


