Un mets national dans un caquelon
Gérard Bourquenoud | Ce n’est pas un plat, ni une spécialité culinaire. Donc un mets parmi tant d’autres qui a le don de réunir des amis ou même toute une famille autour d’une table. Notre fondue au gruyère ou au vacherin ou encore un mélange des deux – bien que revendiquée par d’autres – est bien de chez nous, helvétiquement nôtre et même romande pour ne pas dire vaudoise et fribourgeoise! Elle est née il y a belle lurette dans des chalets d’alpage qui nous font entendre l’écho des «liauba» dans la montagne. Elle pourrait même se présenter avec un rhododendron au manche du caquelon.
Sur un air d’accordéon
Rustique, montagnarde, mais aussi citadine, la fondue se mange en habits de semaine, en bras de chemise, mais également en tenue de ville ou de sortie. Elle s’accomode fort bien au cadre modeste d’une cuisine ou d’un carnotzet, à une cabane des bûcherons en forêt ou à un restaurant villageois. Pourrait-on imaginer un lustre de Venise jetant ses feux au-dessus du caquelon ou un monsieur en redingote y remuer sa fourchette au son d’une musique de Vivaldi? Pourquoi pas? Mais ce qui est certain, c’est que la fondue préfère être dégustée sur un air d’accordéon.
Elle est plus romande qu’alémanique
La fondue se mange avec du pain mi-blanc qui convient agréablement à ce mets. Celle au vacherin fribourgeois se consomme également avec des pommes de terre en robe des champs. Un régal et en plus très digeste. Elle n’a jamais connu la ségrégation des sexes et, sans être féministe pour autant, elle se laisse faire par les dames qui aiment changer de menu au quotidien. Sa seule coquetterie est d’être parfois chauvine. Il y a celle qui se vante d’être fribourgeoise à cent pour cent parce qu’elle a été inventée et conçue dans les alpages du canton, pour ne pas dire en Gruyère, terre où est né le fromage du même nom. Et en plus on dit qu’elle est la meilleure. La tendance de cette affirmation est due au fait que la fondue est d’abord un mets issu d’une région du pays de Fribourg et qui a obtenu depuis fort longtemps le label suisse de la saveur, du goût et de la qualité. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas romande, voire même vaudoise ou neuchâteloise.
Une image patriotique
Autre qualité de la fondue, c’est son charme qui exige de l’intimité. Et ce qui fait sa popularité, c’est qu’elle rassemble toujours plus de monde autour du caquelon qui est le prince sur la table des hôtes et offre une nourriture d’intérieur, de famille. Elle ne se mange que rarement en plein air, tandis que la raclette, sa rivale, qui est délicieuse lorsqu’elle est mêlée à l’odeur des pins, c’est du fromage fondu à la chaleur du feu et servie avec des pommes de terre en robe des champs. Celle-ci peut être mangée par une personne seule, à plusieurs ou même en société. Par contre, la fondue qui se mijote dans un caquelon, rapproche et réunit les convives autour de la même table. Presque une communion. A dire vrai, la fondue n’est donc pas un plat gastronomique, mais un mets national qui se savoure avec l’accent helvétique dans toutes les chaumières et dans bon nombre de restaurants de notre pays. Manger une fondue, pour nous Suisses, est non seulement une image patriotique, mais une manière symbolique d’exprimer l’art de vivre de tout un pays riche en coutumes et produits naturels.