Toucan 5 – Le disparu de Lutry #01
Un roman de Christian Dick
Préambule
Ceux qui se rappellent l’année 2003 en ont un souvenir précis : canicule, sécheresse, orages dévastateurs et vents tempétueux. On commence à parler de réchauffement climatique. Le mois de juin est caniculaire : les normes sont largement dépassées. La vague de chaleur va s’amplifier. Des records sont régulièrement battus. Certaines écoles ferment. Les fontaines sont prises d’assaut. Les orages sont fréquents et localement violents. Certaines communes sont durement touchées par les inondations. Coupures d’électricité, vignobles saccagés par la grêle, habitations emportées, les dégâts sont nombreux. On obtient un taux de 4 sur 10’000 pour les décès dus à la chaleur. En Suisse, les villes les plus touchées sont Bâle, Genève et Lausanne. 2003, c’est aussi l’année fabuleuse où Alinghi remporte à Auckland la Coupe de l’America. Le 2 mars, le syndicat suisse l’emporte par 5 à 0 contre New Zealand Team. C’est dans cet esprit et cet engouement exceptionnels que lundi 30 juin de cette même année commence la Semaine internationale de la Voile à Genève. En fait, aucun voilier ne sort du port ce soir-là. Entre 15h et 21h, les rafales du sud-ouest balaient la rade à plus de 30 noeuds. C’est vendredi 27 juin qu’un magnifique voilier, un Toucan, quitte par faible bise le port de Lutry en direction de Genève pour sa participation aux régates.
A propos de l’auteur
Christian Dick est né en 1958 à Lausanne. Il se passionne rapidement pour la moto puis, plus tard, pour la voile. Si d’être indépendant ne procure aucune richesse, il donne du temps à qui s’organise. Il participe à des régates qu’il commente pour Le Courrier. Ce qui penche l’attire ! La plume aussi. Après « Le disparu de Moratel », son premier roman, en voici un autre, à Lutry. Le Toucan, un voilier fabuleux, participe à l’intrigue. Par vent fort le bateau gîte. Le verre ne penche plus, il tombe. Tomberont aussi différents personnages. Schneider et Cordey qu’on a déjà vus, vont-ils les relever ?
Chapitre 1, lundi 30 juin 2014
Tout commença ce soir du 30 juin 2014 où Benjamin Cordey recevait un appel téléphonique. Il avait commencé par écouter distraitement. La voix au bout du fil, d’abord hésitante, s’était faite insistante. Il était question d’une arrivée à Genève dans l’après-midi ou en soirée. Il n’est jamais arrivé. C’était il y a onze ans. Elle parla encore de validation d’inscription à une série de régates, de vent, d’un certain équipage, d’une réservation d’hôtel, rive gauche, assez proche du Port-Noir à Cologny, qu’il était probablement seul à bord du voilier. Le récit, assez embrouillé, manquait de cohérence. Cordey retint surtout que le navigateur pouvait avoir quitté seul l’ancien port de Lutry. Il avait écouté le récit, l’attention de plus en plus éveillée. Une autre affaire, somme toute assez similaire, lui avait coûté sa carrière et le début d’un certain ennui dans la vie. Une rencontre, brève comme la grêle et tout aussi dévastatrice, l’avait aussi profondément lacéré.
– Que s’est-il finalement passé ? demanda-t-il enfin.
– On ne sait pas. On n’a jamais rien découvert.
– Le voilier ?
– Retrouvé échoué à la sortie de Versoix sur une digue.
Cordey se demanda s’il avait bien compris le sens de cet appel. La mémoire lui revenait, gentiment comme il arrive dans ce Pays de Vaud. La presse en avait parlé. Une enquête avait été menée au port et au domicile. La Brigade du lac était intervenue. Les recherches sur place, à Versoix, étaient du ressort de la République et Canton de Genève. Les deux polices s’étaient entendues mais avaient dû se résoudre à boucler le dossier. Sauf erreur, la gendarmerie avait collaboré avec la Sûreté ou un autre service. Mais sans lui.
– Que s’est-il encore passé pour qu’après tout ce temps vous m’appeliez, moi, un inspecteur à la retraite ?
– Je suis une dame âgée. J’aimerais savoir. C’est devenu le bon moment.
Cordey resta longtemps pensif. Elle n’avait évidemment pas répondu à la question.
– Oui… dit-il enfin.
– C’est un jour sombre dans ma vie. Le moment est venu d’un peu de lumière.
– Cette disparition remonte à onze ans, quasiment jour pour jour. N’est-ce pas ?
– J’ai toujours navigué avec Jacques, ajouta la vieille dame. Il ne pouvait pas lui arriver un accident.
– C’est ce que je retiendrai, conclut l’ex-inspecteur. Mais nous partirons tout de même de cette hypothèse.
A SUIVRE…