Toucan 5 – Le disparu de Lutry – Un roman de Christian Dick

Buffert de la Gare à Lausanne
L’heure est passée, dit Amanda. Au propre comme au figuré.
– N’avons-nous pas la moindre chance?
– Si. A toi de faire juste. Mais je préfère n’avoir aucun homme dans ma vie qu’en avoir un qui me la complique.
– Je t’appellerai le moment venu. Il n’y a que toi dans ma vie. Tu veux bien attendre?
Amanda se leva, lui tendit la main et la joue qu’il embrassa trois fois, la dernière longuement. Elle laissa faire.
Cordey resta debout à la regarder s’en aller. La lourde porte en bois d’une époque art nouveau se referma doucement. Il y avait d’un côté un tableau mural représentant Zermatt, à côté de Montreux, côté Montreux, et un autre lui faisant face, Genève. C’était sur le chemin de ce retour qu’il avait eu avec Amanda le renouveau de la chance, à bord du canot.
Il resta longuement là debout, comme si elle allait se rouvrir sur elle, l’Amanda de sa vie qui la lui avait laissée entrouverte. Il sut alors qu’il n’y aurait jamais plus d’autre Amanda dans sa vie.
– Comme l’Olga de Parisod? se demanda-t-il.
XXX, mardi 29 juillet 2014
C’était une journée dans la norme de cet été pourri. Un soleil pâle n’annonçait pas les hautes chaleurs de juillet. Depuis le début de l’année le temps avait été maussade. L’adjudant Schneider de l’APOL s’était entendu jeudi dernier avec le jeune Delisle, inspecteur à la secrète comme on disait lorsqu’il avait débuté dans le métier, pour se faire remettre une liste des festivals aux Etats-Unis. En tout, une centaine. Comme on l’a vu, il avait fallu affiner la liste. Contacté samedi par Cordey, Delisle avait rappelé.
En attendant, Cordey et son ami Parisod, vigneron et amateur de musique rock, avaient avec Amanda transpiré sur cette liste et en avaient vigoureusement compensé l’évaporation à l’abri des regards, des natels et de la pluie dans la cave de notre ami vigneron, au sous-sol de sa demeure.
Quelques jours s’étaient écoulés depuis ce dernier jeudi. Finalement, ils avaient réuni douze festivals, tous sur la côte est, partant du principe que le temps lui était compté. Chicago se trouvait au-delà, mais à peine à deux heures et demie de vol de New York. La consultation des réseaux sociaux n’avait encore rien donné. Un blog n’avait récolté que des commentaires inutiles ou des réponses hors de propos, le tout difficile à vérifier. Visionner des milliers d’images, ouvrir des milliers de sites nécessitaient une brigade dont ils ne disposaient évidemment pas. On travaillait en en effectif réduit et, cerise sur le gâteau, sans que la personne du disparu soit identifiable.
Cordey avait donc présenté à Marie-Jasmine Morerod son projet de visiter différents festivatls aux Etats-Unis et avait insisté sur l’espoir d’y trouver un élément le rattachant au disparu.
– Bref, lui avait-elle dit en souriant, vous allez vous amuser aux frais de la princesse.
– C’est une manière de dire, encore que je serais mieux ici. La foule et ce genre de musique ne sont pas ma tasse de thé.
Cordey brûlait de traverser l’océan, de poursuivre l’enquête qui le menait à la seule possibilité de trouver vivant celui que ses deux femmes recherchaient ou espéraient. Il entrevoyait surtout avec joie la perspective de voyager en compagnie d’Amanda. Quant à Parisod, il trépignait d’impatience à l’idée de côtoyer des vieilles gloires de sa fabuleuse musique pop. De ce point de vue-là, il n’avait pas trop évolué. C’était d’ailleurs lui, cet amateur d’envolées à la guitare électrique, qui avait aligné les noms de groupes sous les festivals qu’ils avaient retenus. Bref, tous attendaient l’accord de Mme Morerod.
– Je suppose que je n’ai pas vraiment le choix, finit-elle par dire.
– On a toujours le choix. A vous de savoir lequel.
– Je ne sais pas vraiment quoi vous dire, fit-elle encore.
– On peut arrêter là. Mais on a une piste. Une seule en fait. Tout le reste nous mène au fond du lac. On veut seulement savoir où elle mène ou ne mène pas. Ce n’est pas seulement un choix, c’est aussi la dernière solution. A vous de voir, conclut encore Cordey en faisant mine de partir.
– D’accord. On peut essayer. D’autant que jusqu’à présent vous n’avez pas été cher.
– Et ça ne va pas changer. Pour ce voyage je ne vous demande que le prix de l’avion, de l’hôtel et de l’entrée aux festivals. Je ne compte ni mon temps ni mes honoraires. En revanche, je voyagerai accompagné : un ami dont l’aide peut nous être précieuse et qui vous coûtera comme à moi le minimum, et une dame qui paiera elle-même ses frais.
– C’est entendu, dit Mme Morerod sans avoir vraiment réfléchi. Quand partez-vous?
– Dès que possible. Le premier festival, près de New York, débute dans une semaine et nous n’avons encore aucun billet.
XXXI, jeudi 31 juillet et vendredi 1er août 2014

Gare de Cully
Ils se retrouvèrent donc de bonne heure deux jours plus tard, jeudi, à la gare de Cully d’où le train les mènerait à Genève-Cointrin. Trois heures de plus et ils embarqueraient pour New York. Le lendemain aurait lieu le premier concert. Cordey avait naturellement procédé à l’encaissement des frais la veille.
Selon Parisod, ils avaient peu de chances de trouver au premier endroit la moindre trace d’un quelconque passage de Jacques, mais c’était pour voir, avait annoncé Cordey, pour voir comment il fallait s’y prendre, comment approcher les groupes musicaux, comment communiquer avec le service d’ordre ou la police, dans une autre langue, dans un autre pays. En bref, c’était pour le vigneron l’apprentissage d’un nouveau métier.
Jeudi matin à l’aéroport, la poche remplie de son billet et de formulaires, Parisod maugréait déjà.
L’improvisation appartenait au passé. Place à la bureaucratie! Depuis septembre 2001 les Etats-Unis se protégeaient. La civilisation avait hérité du monde de la barbarie des dégâts collatéraux tels qu’attente aux douanes, indication de la destination finale, interdiction de tout flacon susceptible de contenir un liquide… et plus récemment l’autorisation de voyage ESTA. Les tracasseries n’étaient plus l’exception, mais la norme.
Parisod avait tout de même emporté dans sa valise, pour se consoler, trois bouteilles de calamin, le chasselas n’étant pas une spécificité américaine. Inquiet, il regarda son bagage monter sur le premier tapis roulant. Il sursauta lorsqu’il vit venir de la gauche, sur le couloir mobile, d’autres valises venues cogner la sienne. Les bagages se suivirent, d’autres venaient s’entasser dans la colonne. Tous finirent par être avalés, quelques dizaines de mètres plus loin, dans un trou béant. Il esquissa enfin un sourire et se rassura : sa valise avait disparu dans l’antre de l’aéroport. Après un cheminement mystérieux, elle le rejoindrait dans l’avion.
A SUIVRE…