Toucan 5 – Le disparu de Lutry – Un roman de Christian Dick
Amanda, Cordey et Parisod s’étaient donné rendez-vous à la cabine du vigneron au port de Moratel. La question était de savoir si Marie-Jasmine avait régaté avec Jacques à Cully et si Lunaire, le Toucan, avait participé à la régate Cully-Meillerie-Cully. En quoi était-ce utile? Cordey souhaitait approfondir son idée du navigateur disparu, connaître la constance de l’équipage et la participation aux différentes régates compte tenu de la proximité des dates.
L’archiviste du Cercle était attendu en fin de matinée. Une bouteille plus tard, ils s’étaient retrouvés devant la cabine 28, celle des archives. Alain vint la leur ouvrir en se recommandant bien de respecter la chronologie, l’ordre des documents et l’emplacement des bulletins dans les différents cartons.
Après une heure de consultation, ils étaient arrivés à la conclusion que les années soixante, septante et huitante ne leur étaient d’aucune utilité. La Cully-Meillerie-Cully de 1990 a eu lieu un 21 juilet, la Semaine de la Voile du 7 au 13 juillet. Ça permettait, théoriquement, de ramener le voilier de Genève. On retrouvait cette configuration jusqu’à 1997. Solaire figurait régulièrement en bonne place même si de nouveaux voiliers, plus rapides, lui disputaient la victoire. Mais l’équipage n’y figurait pas. Comme trop souvent, il y était question des comptes et des rapports du comité. Les fiches d’inscription contenant le nom des équipiers étaient jetées après la remise des prix. Ne restait que la mémoire des concurrents.
Dès 1998, les dates séparant la Cully-Meillerie-Cully de la Semaine de la Voile étaient trop rapprochées pour imaginer la participation, sans canot moteur pour le convoyage, aux deux régates. Lunaire remontait à Lutry à la voile. Il pouvait en revanche avoir pu participer au Bol d’Or en juin. Logiquement, on n’accomplissait pas deux descentes de lac à moins de deux mois d’intervalle.
En résumé, Cordey nota dans son calepin la participation de Morrens à la Semaine de la Voile et à la Cully-Meillerie-Cully de 1990 à 1997, et de 1998 à 2002 au Bol d’Or et à la Semaine de la Voile.
En 2003, la Cully-Meillerie-Cully était courue dimanche 13 juillet alors que la Semaine de la Voile finissait le 4 juillet. Lunaire et son équipage disposaient à nouveau d’une pleine semaine pour amener le voilier de Genève à Moratel. Morrens était donc bien parti de Lutry le 27 juin comme l’attestaient d’ailleurs le rapport de police et les témoins auditionnés. Il n’avait pas fait le Bol et n’en avait pas eu l’intention.
– Sait-on à quelle heure il est parti? demanda Parisod.
– On a la réponse. Pourquoi?
– Tu te rappelles le programme des régates? Douze Toucan, six 6mJI, quatorze 5.5 Metre, quatre 15m2 SNS, treize Lacustre, deux 8m JI. Des voiliers longs, minces, élégants, mais sans cabine, sauf le Lacustre.
– Tu veux dire… tenta Cordey.
– Exactement. Il a pu prévoir de dormir dans son voilier. Sur un plancher en bois. A-t-on trouvé à proximité de l’échouage ou de l’échouement un matelas, un sac de couchage ou des effets personnels? Peut-être a-t-il réservé un hôtel?
– On y a pensé, dit Cordey. D’ailleurs à l’époque aussi. Les réservations d’hôtel n’ont rien donné.
– Tu vois mon 6.5m? Pour descendre à Genève je compte deux jours tranquilles. Et je dors sur le bateau, dans un port. C’est plutôt rustique mais je suis vigneron. C’est pourquoi je te pose la question. Aux régates des semaines du soir, le départ est donné à 19h. On arrive généralement sur place dans le courant de l’après-midi. Ça laisse du temps pour amarrer le bateau, inscrire le voilier avec son équipage, boire un verre avec les copains des années précédentes et se préparer.
– Mais là, fit Cordey, il n’est pas parti dimanche pour arriver lundi, mais le vendredi déjà. Alors?
– Je vérifierais aussi s’il est vraiment parti seul, ce que je crois, mais sait-on jamais?
– Qu’en penses-tu, toi? demanda le retraité à Amanda.
– J’en pense que Louis ou Marie-Jasmine ont pu l’accompagner, Louis prenant le train à Genève pour rentrer à la voile sur Lunaire. Et notre dame habitant sur place aurait gagné deux jours sur les cinq qu’ils se promettent chaque année. Mais c’est de la spéculation. Rien ne prouve. C’est toi le policier.
Cordey avait noté la remarque dans son calepin. Il y relut «guitare» et songea à ce Louis devenu autiste et à ce médecin parlant d’amnésie. Il n’était en tous cas pas totalement amnésique! La guitare, Louis s’en souvenait. Jacques en jouait à bord de Lunaire. Cela figurait-il au rapport?
– Je dois encore te dire une chose, fit Parisod. La Nautique donne le nom du bateau et du barreur. Lorsque nous y retournerons, il nous faudra un autre moyen que les archives pour savoir qui naviguait sur Lunaire.
– Voyons sur Internet, suggéra Amanda.
Alain, jamais très loin, répondit à l’appel, alluma l’ordinateur et introduisit le code d’accès. Amanda s’assit face à l’écran et chercha le site. http://www.boldormirabaud.com fut assez vite trouvé. L’historique des résultats n’allait pas au-delà de l’an 2000. L’hypothèse de Cordey se vérifiait. Les années où la Semaine de la Voile précédait directement la Cully-Meillerie-Cully, Jacques et son équipage régataient au Bol d’Or.
En 2002, on annonçait 526 voiliers inscrits et 352 abandons. Probablement faute de vent. Le premier Toucan était bien Lunaire en trentième position avec un temps de 25:21:36. C’était plutôt élogieux pour un voilier de trente ans. On le retrouvait en 2001 et en 2000 avec d’autres résultats flatteurs.
– Ça ne nous mène pas très loin. Jusque là, rien à dire sur les raisons d’une éventuelle disparition, fit Amanda, ni sur un quelconque accident.
A SUIVRE…