Re-Tweetting-En-Turquie
Laurent Vinatier | Pour ceux qui s’inquiétaient… c’est, à vrai dire, quand même un peu inquiétant: Twitter reprend en Turquie après un silence de plusieurs jours. Le réseau était bloqué depuis le 31 mars lorsque la photo d’un procureur d’Istanbul, un pistolet sur la tempe, manifestement pris en otage, avait commencé à circuler. Les ravisseurs, pas moins connectés que leurs concitoyens non violents, ont considéré, avec un certain à-propos tactique, que l’usage des canaux sociaux d’échanges pouvait significativement accroître la pression sur les proches de la victime, les forces de l’ordre et l’Etat, son employeur. YouTube et Facebook n’étaient d’ailleurs pas non plus accessibles ces jours-ci. Bien loin du miracle de Pâques, il aura fallu l’intervention des forces de l’ordre et la fin sanglante de l’opération pour voir renaître, en Turquie, ces flux sociaux abondants.
Mais qui a donné l’ordre, concret et ultime, de bloquer les comptes et les messages ? Est-ce le patron de Twitter, accédant à une requête de la Justice turque ? Sont-ce les autorités de Turquie elles-mêmes, qui ont pu faire valoir, de manière un peu ferme sans doute, que tant que toutes les photos ne seront pas effacées, Twitter (YouTube et Facebook) ne sera (ne seront) plus disponible(s) en Turquie ? La presse en la matière n’est pas très claire. On peut lire parfois que «Facebook s’est plié à la demande de la justice turque»; on lit aussi que «les autorités d’Ankara ont mis fin au blocage». Connaissant les réticences antérieures et récentes des Turcs face à ces espaces de liberté et outils de communication instantanée, la seconde option paraît la plus probable. Il est tout à fait possible également qu’il s’agisse d’une action concertée.
Quoi qu’il en soit – la dernière possibilité d’une interdiction concertée étant sans doute la pire des trois – le cas turc démontre qu’en fin de compte il est tout à fait envisageable pour une puissance étatique ou corporatiste de stopper toute communication, de bloquer tous les canaux, d’empêcher tous les échanges par le biais de moyens que l’on croyait jusqu’alors incontrôlables. A la limite, qu’un Etat puisse avoir le dernier mot sur les réseaux sociaux actifs sur son territoire, cela peut se comprendre; tout dépend alors du niveau de liberté autorisé par l’Etat ou conquis par le peuple. Qu’une compagnie privée puisse intervenir, c’est plus difficile à accepter. En dernier ressort, de toute façon, la question majeure est celle de la limite: où placer le curseur de ce que Twitter peut diffuser ou non ? Cela étant, le fait même qu’il y ait un curseur qu’un gouvernement ou qu’un Board puisse actionner à sa guise, est le signe négatif d’un autoritarisme diffus et d’une dégradation à venir.