Proches aidants en Lavaux-Oron – Sans elle, je suis perdu !
Gil. Colliard | Pour ce second volet de notre dossier consacré aux proches aidants, nous avons rencontré F. et H., son époux depuis 57 ans, ainsi qu’une de leurs filles qui ont accepté avec beaucoup de gentillesse de témoigner sur leur quotidien.
Le Courrier : quel est l’évènement qui a fait de vous la proche aidante de votre mari?
F : bien que mon mari bénéficiât d’une rente AI de 50%, après sa chute d’un toit en 1986, il a toujours été très actif. Balade en forêt, cueillette des champignons, lecture, photographie, films et s’occuper des petits-enfants étaient ses occupations favorites. En mars 2011, un premier AVC l’a privé de la mobilité et de la parole. Cette dernière est revenue, mais il est resté en chaise roulante. Puis, le 26 février, il y a 3 ans, un second AVC l’a rendu sévèrement malvoyant et là en quelques secondes la vie a basculé pour lui et pour nous, sa famille. Nous avons dû faire le deuil de notre vie d’avant.
LC : quelles ont été les conséquences de ces faits dans votre vie de tous les jours?
F : il a fallu réaménager et repenser l’agencement de notre appartement, adapter la voiture. Mon mari ne peut plus faire sa toilette seul. Il faut le motiver pour sortir, pour manger. C’est un travail qui occupe 24h/24h, même la nuit, où inconsciemment je suis à son écoute, comme on l’est pour un petit enfant.
LC : à 75 ans, comment trouvez-vous l’énergie pour assumer le quotidien?
F : le CMS qui s’occupe de la toilette, m’apporte un gros soutien physique et moral. Cependant, j’ai dû insister pour limiter le défilé de nouvelles personnes, (20 personnes en 8 ans et demi) ce qui perturbe à chaque fois mon mari. J’ai également la chance d’avoir une dame de ménage, F, 3x par semaine et une personne, L.F., qui me remplace auprès de mon époux, le mardi et me permet de m’évader. J’ai dû apprendre à demander de l’aide, à faire confiance.
LC : quelle a été la réaction de votre entourage face au handicap de votre mari?
F : on m’a dit de placer mon mari ce que je refuse. Il serait malheureux en foyer. On m’a évoqué de prendre un appartement protégé. Mais ici, nous sommes propriétaire de ce plain-pied avec un petit espace vert qui me permet de jardiner. Toute la sphère familiale est aussi impliquée. Tout comme le voisinage, elle est sollicitée pour diverses aides et petits travaux, mais il y a une certaine peur par rapport à ce qu’inclut la garde de leur père comme la toilette, le coucher.
H. (la fille du couple, qui travaille dans les soins et qui passe toutes les semaines): ce n’est pas dans la logique de mener son père aux toilettes. Les rôles sont inversés. Les proches aidants sont de plus en plus âgés. Souvent à l’entrée en maison de retraite, le «valide» est en plus mauvais état que son conjoint. Un grain de sable dans l’organisation de la vie autour de la personne aidée prend de grandes proportions. Il est aussi difficile de demander de l’aide, alors qu’on sait que ce sera à sens unique.
LC : quelles sont vos craintes?
F : la peur d’avoir un accident et de me faire retirer le permis qui m’est nécessaire. Ma santé, j’ai dû être opérée de la hanche en urgence, heureusement mon mari a pu être placé à Château d’Oex, où on acceptait les personnes malvoyantes. Je me demande si mon mari part avant moi, qui veillera sur moi?
LC : et pour vous, qu’est-ce qui a été le plus difficile?
F : la perte de ma vie sociale. Je faisais partie d’une société de mycologie, je participais à des concours avec mon chien. Cette situation me prive de mes libertés et j’ai toujours ce sentiment de passer à côté des belles années de retraite. Je me suis adaptée, je fais des confitures, je vais marcher avec mon chien, notre rayon de soleil. Je vais me ressourcer dans la forêt quand je le sais bien entouré.
LC : financièrement avez-vous trouvé des aides?
F : nous sommes propriétaire de notre appartement et avons un petit bas de laine. Les frais liés au handicap de mon mari me reviennent à Fr. 10’000.-/an. Tout est payant et sans aide financière. Je dois changer le moteur de l’élévateur pour le fauteuil roulant dans ma voiture, c’est Fr. 3000.-. L’an dernier, en novembre. l’assurance a cessé de rembourser les couches pour l’incontinence de mon mari. J’avais utilisé le quota annuel. Le coût d’un transport d’ici à Bulle chez un médecin représente Fr. 370.- non remboursé. Je me demande comment font ceux qui n’ont pas un petit pécule?
LC : quel serait votre souhait en matière d’aide?
F : Pouvoir rester à la maison est une bonne chose, mais j’estime que les proches aidants devraient obtenir une aide financière. Ce n’est pas une aumône mais une reconnaissance par rapport au travail qui est accompli. Malgré la fatigue, l’usure, la lessive qui est quotidienne, je ne regrette rien et si c’était à refaire, je le referais. Mon mari est facile à vivre et je lui demande en échange de réchauffer notre lit!
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Apporter un moment de répit aux proches aidants
GC | De par son expérience personnelle, L.F. connaît bien le quotidien du proche aidant. Aussi lorsque son chemin croise F. proche aidante, qu’elle a connu lors de son activité au CMS (Centre médico-social), elle n’hésite pas à répondre favorablement à sa demande. Dès lors, elle la remplace auprès de son époux une journée par semaine pour lui permettre de vaquer à diverses occupations et reprendre son souffle
Des possibilités de pauses organisées par les associations existent mais ne sont pas assez connues
Il faut dire que l’alerte arrière-grand-maman, possède une longue expérience dans l’approche humaine. Après avoir effectué les cours Croix-Rouge, elle a travaillé une quinzaine d’années au CMS régional ainsi que dans un EMS où elle a occupé la fonction d’aide animatrice. Toujours prête à se dévouer, elle a fait, pendant 8 ans, partie des bénévoles qui accompagnent les malades et leurs proches lors des vacances Alzheimer. «C’était génial de vivre cette semaine à Interlaken où nous étions 10 bénévoles pour 10 couples. Le but vise à décharger les proches aidants pour leur permettre de se ressourcer, de s’évader en faisant des sorties entre eux et de partager leurs expériences, pendant que les bénévoles restent auprès des malades. Gym, chants, lotos, balades rythment la journée dans un environnement agréable.» se souvient-t-elle, tout en regrettant que ces vacances organisées 1x l’an ne soient pas plus connues chez nous. Ces dernières années, le sort s’est acharné sur la famille de L.F. emportant plusieurs membres de sa famille. Elle a également cessé ses emplois pour se consacrer à son mari atteint par la maladie pour devenir à son tour proche aidante.
Comprendre et alléger le fardeau du proche aidant
«Lorsque l’un tombe malade son caractère se modifie et la vie du couple change. Souvent le bien portant ramasse la mauvaise humeur de son conjoint, qui trouve la force d’être agréable, lorsque des visites viennent, d’où l’épuisement du conjoint, pas toujours reconnu par la famille. C’est un emploi 24h/24h. La sonnette d’alarme est souvent tirée par l’infirmière du CMS» relate celle qui après le décès de son mari s’est mise au chant, à la dentelle et a endossé le rôle de suppléante de proche aidante, de 10h à 17h, les mardis. «Je fais le dîner, on mange avec Monsieur, je prends mon coussin à dentelle s’il n’y a rien d’autre à faire. On fait une petite balade où je l’encourage à venir prendre l’air un moment sur la terrasse. Je ne pensais pas reprendre une nouvelle occupation. Mais les malades, nous donnent plus que nous leur donnons!» conclut L.F. dans un sourire.