Paraître ou ne pas être
Arvid Ellefsplass | A la veille des votations du 13 février, les arguties sur « L’aide à la presse » font rage, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits. A ce point, il est nécessaire d’éclaircir quelques lanternes.
Il n’est pas question ici de donner des consignes de vote. Chaque lecteur glissera son choix dans l’urne librement, en toute âme et conscience. Il faut tout de même aujourd’hui faire œuvre de transparence afin d’avoir la grande image à l’heure du vote.
L’objet du vote est une aide de la Confédération établie sur sept ans. De 130 millions, une aide supplémentaire de 150 millions sera ajoutée afin d’aider la presse à faire face à la migration des revenus publicitaires chez les GAFAM, ainsi que permettre à la presse traditionnelle une reconversion numérique. Cela tout en gardant le support papier auquel nous sommes si attachés. Nous allons préciser ce qui est entendu par « Presse » sans entrer en matière sur les télévisions et radios locales, qui seront elles aussi au bénéfice de cette aide. Parlons donc de ce que nous connaissons le mieux et de manière intime.
La désignation « Presse » est multiple, mais bien souvent liée à son modèle d’entreprise. Les grands groupes que sont TXmédia et Ringier, pour ne citer que ces deux, sont des multinationales qui détiennent – entre autres – quelques titres bien connus et appréciés en Suisse. Leurs fonctionnements sont complexes et multiples. Leur marge bénéficiaire est appréciable. Les bénéfices de leurs titres, quant à eux, sont minimes, leur survie devrait suivre le principe des « vases communicants »… si le groupe le voulait, mais le principe du rendement reste maître. Ces titres tirent donc aussi la langue mais s’abreuveraient bien volontiers à cette nouvelle manne. La presse locale, et indépendante, subit, elle aussi, la pression du 13 février. Les journaux régionaux sont nombreux dans le canton – heureusement ! – et leur modèle d’entreprise est diversifié. Pour simplifier, ces titres vivent grâce aux abonnements nominatifs et à la publicité. Cette manne permet de payer les journalistes et correspondants qui livrent les articles qui mettent en avant la vie de la région
Quant à la distribution, elle s’effectue en majorité par La Poste… et là est tout le problème.
« Ce que vous tenez entre vos mains n’est pas un journal » écrivait Pascal Fleury dans l’éditorial de Lausanne Cités la semaine dernière. Pas faux, si l’on en croit l’article de loi de l’OFCOM qui régit la distribution des journaux par La Poste : en substance, l’aide à la presse s’adresse aux journaux qui possèdent un minimum de 1000 abonnés nominatifs. Un journal gratuit – sans abonnés nominatifs, financé par son propriétaire et la publicité – n’est pas un journal et, par conséquent n’a pas droit à l’aide à la presse. A ce stade, intéressons-nous à l’aide elle-même et suivons l’argent. Cette aide de la Confédération est indirecte. A savoir, qu’elle n’est pas versée directement aux journaux et permet de dire que l’indépendance de la presse vis-à-vis du gouvernement est garantie. Elle est versée directement à La Poste, ce qui permet à la Vieille Dame d’offrir un rabais de 50 % sur les frais de distribution aux journaux… C’est donc une petite histoire de famille confédérale… pour ne pas mentionner de termes familiaux, voire familiers ! On comprend mieux le coup de gueule de Pascal Fleury, et votre hebdomadaire n’est pas loin de se joindre à lui !
Le secret de l’existence du Courrier réside dans le modèle d’entreprise adopté en 2009, de faire le lien entre communes, annonceurs et habitants. Aucune magie, ici aussi il faut suivre l’argent : entre la publicité, les abonnés et le partenariat avec les communes, votre hebdomadaire parvient à joindre les deux bouts, à vous présenter chaque semaine la vie de vos communes et à soutenir les événements majeurs du district. Car, selon l’article de loi de l’OFCOM : Le Courrier Lavaux-Oron-Jorat est un « gratuit ». Dans le détail, et surtout ! pour l’Office fédéral, une commune qui signe un partenariat avec le journal est considérée comme une seule et unique personne. Peu importe le nombre de ménages de la commune. Votre hebdomadaire, par la magie des lois et des chiffres de l’OFCOM, possède moins de 1000 abonnés et n’a pas droit à l’aide à la presse. Jusqu’à aujourd’hui, nous distribuons 26’000 ménages chaque semaine. La pilule est amère.
Pour conclure, l’aide à la presse pose question quant à la définition même de ce qu’est un vecteur d’information. Une abrogation de la loi de l’OFCOM, définissant la presse par sa distribution, est impérative. La presse est définie par la pertinence de son information, son fonctionnement financier ne peut – et ne doit pas ! – être qualifiant. Quant à sa distribution…
Je profite donc, après ce long éditorial qui, je l’espère, aura éclairé un peu le fonctionnement de notre catégorie de presse, de faire un appel à nos députés pour faire entendre ce cri du cœur jusque dans les couloirs du parlement fédéral.