Opinion
Fête des vendanges de Lutry : une liesse… et une gueule de bois

Etienne Blanc, conseiller municipal , Lutry | Ce week-end, deux semaines après celle de Chardonne, le bourg de Lutry a vécu sa 77e Fête des vendanges. Dans les ruelles, les caveaux exhalaient les parfums de chasselas, les enceintes diffusaient des tubes des années 80 et toutes les générations se mêlaient avec enthousiasme et insouciance. Dimanche, sous un soleil généreux, le cortège des enfants costumés a serpenté entre les quais et le bourg preuve que le vignoble se transmet d’abord par des gestes, des couleurs et des sourires.
Puis vient le lundi. Et avec lui, une gueule de bois qui n’a rien à voir avec l’excès de la veille. Elle est économique, culturelle, presque existentielle. La récolte qui vient d’être encavée sera difficile à valoriser : le prix du kilo de raisin comme celui du vrac est en recul, la consommation de vin en Suisse poursuit sa baisse et la part du vin suisse dans celle-ci plafonne à peine autour de 30 %. On entend déjà que quelque 400 hectares ne seront même pas vendangés. Ici même, à Lutry, Terre de Lavaux est en cessation d’activité : un signal d’alarme qui résonne au-delà de nos coteaux.
Que faire ? Au niveau politique, des interventions ont été déposées, tant sur le plan cantonal que fédéral : importations, promotion, valorisation des appellations, réserve climatique. Mais leurs effets risquent d’arriver, s’ils arrivent, « comme la grêle après la vendange » : trop tard pour soulager des trésoreries déjà asséchées. L’Etat peut et doit agir. Il peut favoriser l’achat local dans la restauration et les commerces, simplifier certaines démarches, accélérer les campagnes de promotion. Mais aucune loi ne remplacera le geste simple qui fait la différence : choisir une bouteille d’ici.
Car il y a ce que chacun de nous peut faire, dès maintenant. Se responsabiliser dans sa consommation. Privilégier le local. Aller directement chez le vigneron, pousser la porte d’un domaine, goûter, discuter, comprendre la précision d’un travail qui se mesure au choix d’un cépage ou à l’exposition d’un parchet. Redécouvrir la diversité des terroirs, des parcelles et des millésimes. Et surtout accepter de payer le juste prix d’un produit façonné à la main, au fil des saisons, par des vignerons-tâcherons dont la sueur et l’exigence ne se bradent pas.
Boire un verre de vin d’ici, ce n’est pas seulement se faire plaisir. C’est boire de la tradition, de l’histoire, du patrimoine, du paysage. C’est soutenir une économie de proximité, des emplois non délocalisables, des murets, des terrasses et des chemins entretenus qui dessinent la carte postale de Lavaux. C’est dire que nos coteaux ne sont pas un décor figé mais un atelier à ciel ouvert où s’inventent chaque année des vins de caractère.
La Fête des vendanges n’est pas qu’une parenthèse de joie, elle est un miroir tendu à nos responsabilités. Si nous voulons que les carnotzets embaument encore le chasselas dans vingt ans et que les cortèges d’enfants costumés continuent de dérouler leurs sourires sous le soleil de septembre, il faut agir maintenant. Aux pouvoirs publics de garantir des conditions équitables, lisibles et stables. A nous citoyens d’ancrer nos choix dans la proximité. Acheter une bouteille chez un vigneron de Lutry, de Lavaux ou d’ailleurs en Suisse, c’est un acte simple, concret et immédiatement efficace. Pour que demain, nos apéros aient encore le goût de notre paysage.