Monument emblématique de l’architecture moderne sur la Riviera
Pierre Jeanneret | Ce nouveau musée vaut absolument la visite! D’abord par son contenant. La villa, construite en 1939, est en effet l’oeuvre du célèbre architecte Alberto Sartoris (1901-1998). Ce dernier a joué un rôle considérable dans l’introduction de l’architecture moderne, rationnelle et fonctionnelle en Suisse. On lui doit par exemple la fameuse église de Lourtier dans la commune de Bagnes en Valais, qui souleva la polémique à l’époque de sa construction en 1932. Les espaces de la villa-atelier De Grandi sont donc sobres, ouverts à la lumière et constituent un bel espace pour des expositions.
La première d’entre elles, logiquement, est consacrée à l’oeuvre des frères De Grandi, Italo (1912-1988) et Vincent (1916-2010). Ces deux artistes, un peu injustement oubliés aujourd’hui, sont issus d’une famille émigrée du Piémont. Bien qu’ils fussent totalement intégrés dans la région veveysanne, leurs liens affectifs avec leur pays d’origine et l’italianità ne se relâchèrent jamais. Très unis, de manière presque fusionnelle, les deux frères ont souvent oeuvré ensemble, notamment à des travaux graphiques pour l’industrie. On remarquera par exemple une belle sérigraphie publicitaire pour les chocolats Cailler Femina! Mais c’est surtout leur oeuvre picturale, représentée par 93 tableaux, qui séduira le visiteur.
Les deux frères, à l’époque de leurs «élans juvéniles» dans les années 1930, ont flirté avec le surréalisme. Le passage du train de Vincent peut faire penser à Paul Delvaux ou à Giorgio de Chirico. Italo, lui, s’est rapproché un temps de la «peinture métaphysique» ou symboliste: ainsi dans deux grands tableaux de 1936, Vendange céleste et Maternité. En revanche, par leur traitement, ces oeuvres sont proches de la «Nouvelle Objectivité», une tendance, surtout germanique, représentant les personnages de manière figée et hyperréaliste. Il est difficile de distinguer les oeuvres des deux frères, qui vivaient et peignaient presque en osmose. On remarquera cependant qu’Italo reste plus proche de la réalité, tendant que Vincent montre une certaine propension au rêve: ainsi Le conciliabule, où deux poires semblent s’entretenir entre elles…
L’essentiel de leur travail est constitué par des oeuvres figuratives, huiles, aquarelles et gouaches. Leurs natures mortes (poires, kakis, coupes de fruits, fleurs…) ont la sobriété des tableaux du peintre italien Giorgio Morandi. On aimera particulièrement les aquarelles de Venise en hiver sous un ciel brumeux, par Italo, toutes de fluidité. L’artiste a beaucoup peint aussi dans les environs de Grignan, dans la Drôme, où il s’établissait une partie de l’année. Mais c’est l’Italie, avec ses paysages, notamment des collines aux formes très géométriques, et avec la vie quotidienne des petites gens, qui avaient ses faveurs. Italo et Vincent, très marqués par la Renaissance italienne, ont représenté un univers paisible, presque idéal, loin des turbulences et des conflits de leur temps. Restés toujours à l’écart des modes et fidèles à l’art figuratif, les frères De Grandi, un peu oubliés, méritent d’être redécouverts. On ressort de leur univers pictural avec un sentiment de paix intérieure.
Enfin il faut rendre hommage aux deux fils d’Italo, Pierre et François De Grandi, respectivement médecin et architecte, qui ont conçu ce musée promis, on l’espère, à un bel avenir. Une deuxième exposition, au printemps 2018, sera consacrée à un autre peintre de grande valeur, lui aussi un peu méconnu aujourd’hui, Wilhelm Gimmi (1886-1965), qui vécut la fin de sa vie dans notre district, à Chexbres.
«Italo et Vincent De Grandi» Atelier De Grandi, Chemin d’Entre-deux-villes 7, Corseaux (près de l’arrêt du funiculaire de Corseaux), jusqu’au 15 novembre.