Médiation
L’ego : entre force intérieure et piège de la certitude

Laurent Damond, avocat | L’ego, au sens psychologique et philosophique, désigne cette construction intime qui nous permet de nous sentir un « je » parmi les autres. Il est la conscience que nous avons de nous-même, la perception de notre valeur, de notre place dans le monde. L’ego n’est pas un mal en soi : il nous donne structure, affirmation, responsabilité. Sans lui, il n’y aurait ni autonomie, ni engagement, ni même dignité.
Mais comme toute force intérieure, l’ego peut déraper. Il peut glisser de la conscience de soi à l’illusion de toute-puissance. Il devient alors rigide, fermé et sourd à l’autre. Ce basculement, subtil mais redoutable, guette chacun de nous. Certains penseurs et philosophes ont comparé l’ego à une fenêtre, il donne forme, mais doit laisser passer la lumière. Autrement dit, il ne doit pas obstruer la relation, mais la traverser.
Dans notre société saturée d’opinions et de certitudes, ce glissement devient un risque collectif. A force de vouloir avoir raison, de défendre son point de vue comme une vérité absolue, on oublie d’écouter. L’humilité se dissout, la critique devient insupportable. L’identité ne se construit plus sur un projet commun, mais sur la conviction d’être dans le vrai et cette certitude se referme comme un miroir où chacun se contemple, persuadé d’avoir tout compris.
Or, une conviction qui ne se confronte plus à la différence s’éteint lentement. Ce n’est qu’au contact de l’autre, dans l’échange parfois inconfortable, que la pensée se renouvelle et que la personne grandit.
C’est ici que la médiation offre un enseignement précieux. Elle rappelle que l’écoute ne menace pas la conviction, qu’accueillir la parole de l’autre n’est pas se renier. Il y a la médiation relative aux conflits, mais aussi la médiation intérieure, c’est-à-dire ce moment où l’on accepte de laisser coexister deux vérités sans les faire s’entre-détruire. Dans l’espace du dialogue, l’ego cesse d’être un mur et redevient une passerelle. Il apprend à respirer au rythme de la relation, à laisser entrer un peu d’air, un peu de doute.
Un ego trop gonflé, qu’il soit individuel ou collectif, devient contre-productif. Il isole, il divise, il blesse et empêche l’évolution. Il transforme l’intelligence en arrogance, l’engagement en croisade et la pensée en dogme. A l’inverse, un ego éteint n’est pas plus souhaitable, puisqu’il dissout la personnalité, empêche la responsabilité. La maturité consiste peut-être à garder la tension juste entre affirmation et ouverture, entre soi et l’autre.
Trouver cet équilibre est un chemin de lucidité. Il demande d’accepter que notre vérité n’est jamais complète, que notre regard n’éclaire qu’un fragment du monde. Dans un temps où les convictions se figent vite et où les débats tournent à l’affrontement, cultiver un ego poreux, curieux et respirant devient un acte de sagesse.
Car la vérité n’a pas besoin de vainqueurs, elle a besoin de passeurs, de celles et ceux qui relient plutôt qu’ils n’opposent et qui ouvrent des chemins plutôt qu’ils ne dressent des murs.


  