Martigny – Triple exposition à la Fondation Gianadda
Les trois jusqu’au 6 juin 2022
Jean Dubuffet
Pierre Jeanneret | L’exposition principale est consacrée à Jean Dubuffet (1901-1985). Celui-ci est surtout connu pour avoir créé en 1945 le terme d’Art Brut. En 1971, il a offert à la Ville de Lausanne son extraordinaire ensemble de 5000 œuvres, réalisées par des « fous », des détenus, des marginaux, en dehors de toute influence de la tradition artistique, des « poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode ». Mais il ne faut pas oublier que Dubuffet fut lui-même un grand artiste. L’exposition de
Martigny, mise sur pied avec la collaboration du Centre Pompidou à Paris, permet de suivre chronologiquement l’œuvre de ce marchand de vin aisé devenu un créateur de génie.
Ses premières œuvres, dans les années 1940, représentent notamment des visages déformés, grimaçants et inquiétants, aux yeux exorbitants, ainsi que des corps distordus. Faut-il y voir une influence de la guerre ? Dubuffet s’intéressait beaucoup aussi aux dessins d’enfants, encore libres et spontanés. Les petits personnages et les vaches de Campagne heureuse peuvent donc nous paraître « enfantins ». L’artiste refusait en effet de faire des « grecqueries », ces sempiternelles copies, au travers des siècles, de l’art classique de l’Antiquité. Puis se déroule une production très variée, dont on peut suivre l’évolution. Pour Sérénité profuse (1957), l’artiste a copieusement utilisé « les « jetés » de gouttelettes de peinture liquide », ce qui donne, selon ses propres termes, « une impression de matière fourmillante, vivante et scintillante ». On verra aussi une étonnante sculpture en papier mâché, représentant un visage traité de manière minimaliste, qui fait penser aux pierres gravées préhistoriques. Des poèmes de Dubuffet accompagnent certaines de ses œuvres. Ils sont proches de l’esprit des Surréalistes, que lui-même a beaucoup fréquentés.
Les œuvres les plus emblématiques et les plus connues de Jean Dubuffet, réalisées dans les années 1960-1970, sont les peintures vinyliques sur toile ou sur résine stratifiée, montées sur un support métallique. Elles montrent des scènes, des objets ou des personnages nés de l’imagination de l’artiste, et composés de formes aux contours imaginatifs ceintes de noir. Ces œuvres sont à la fois très libres et structurées. Plus tard, Dubuffet utilisera « l’accumulation en désordre des peintures sur papier » et en découpera des morceaux pour « constituer de ceux-ci des assemblages ». Dans ses derniers travaux, « les couleurs sont crues et triviales ». Elles se veulent l’expression de ses fantasmes. Cette exposition peut paraître au premier abord difficile à comprendre pour le profane. Il n’en est rien, si l’on accepte d’entrer dans le monde intérieur, dans les « paysages de cervelle » de Jean Dubuffet, qui sont par ailleurs d’une grande beauté de formes et de couleurs.
Sam Szafran
Une autre salle rend hommage à Sam Szafran (1934-2019), qui fut un grand ami de Léonard Gianadda, en présentant la collection de ses œuvres faisant partie de la Fondation. L’artiste, comme juif, échappa par deux fois dans son enfance à la déportation, alors que presque toute sa famille fut exterminée par les nazis. C’est peut-être ce qui l’a conduit à représenter (et c’est l’un de ses thèmes majeurs) des escaliers « kafkaïens » qui tournent sans fin et donnent une sensation d’enfermement. D’autres travaux de Szafran, plus sereins, montrent d’extraordinaires feuillages peints, notamment de philodendrons. Il est à noter que le visiteur retrouvera des œuvres de Dubuffet et de Szafran dans le magnifique jardin de sculptures de la Fondation Gianadda.
Michel Darbellay
Enfin une exposition-vente rend hommage à Michel Darbellay (1934-2014). Celui-ci, très lié lui aussi à Léonard Gianadda, a consacré cinquante ans de photographies à son cher Valais natal. Villages de montagne, animaux, sommets enneigés sont magnifiés. Si certains de ses clichés, par ailleurs très beaux, font un peu « carte postale » ou images de calendrier, d’autres témoignent d’une belle créativité, telle cette photo du lac d’Emosson à moitié asséché, et dont le tirage est volontairement granuleux, ou ce cliché très dépouillé montrant des traces de ski dans la neige, sur la Haute Route.
Il y a donc de quoi passer de belles heures à Martigny !
Ces trois expositions à la Fondation Pierre Gianadda, Martigny jusqu’au 6 juin 2022