L’histoire de Lavaux, paysage archiconnu. Vraiment ?
Une balade historique
Jean-Gabriel Linder | L’Association ProLavaux – AVL a invité le public, en « quelques pas » et d’un regard différent, à traverser l’histoire géologique de Lavaux sous la houlette de Matthew Richards, géologue et guide de randonnée certifié du site Lavaux patrimoine mondial de l’Unesco. Le parcours a conduit les participants de Chexbres à Cully (commune de Bourg-en-Lavaux) à travers les parchets du vignoble en terrasses des lieux de production des grands crus Dézaley et Calamin. Sur les hauts du vignoble de Rivaz, en contrebas de Chexbres, l’on a d’abord vu les plants des différentes variétés du cépage roi de Lavaux, le chasselas, dans le conservatoire mondial qui lui est entièrement dédié. Puis, remontant le temps, les randonneurs du jour, ont alors été rendus attentifs aux roches et aux sols sur lesquels a été créé le vignoble actuel. Pour ce faire, outre le paysage, Matthew Richards illustre son propos avec trois bêtes préhistoriques ayant vécu aux temps géologiques de la formation du paysage de Lavaux : le dinosaure, le crocodile et le mammouth. Il y a environ 230 millions d’années, les premiers dinosaures émergeaient sur la Pangée, un supercontinent entouré d’un unique océan. Lorsque se fractura la Pangée, 30 millions d’années plus tard, l’océan s’ouvrit et des squelettes s’y déposèrent dont subsistera le calcium. Le plissement des Alpes commença il y a 100 millions d’années, par l’empilement des couches de l’océan pris entre deux continents ; leur soulèvement, à proprement parler, remonte à 30 millions d’années. Au nord des Alpes, l’érosion va « manger » les roches soulevées ; ce sont les sédiments que l’on retrouve à Lavaux notamment sous forme de couches de différentes molasses dont certaines, agglomérées avec des couches de galets entraînés et arrondis par l’eau des rivières, forment une roche dure semblable à du béton, le « poudingue ». Les bancs durs et résistants de poudingue du Mont-Pèlerin se prolongent dans le vignoble du Dézaley (commune de Puidoux), où ils forment des falaises et consolident la pente abrupte du coteau du vignoble. Toutes ces couches de molasse ont été inclinées par les mouvements alpins. Le climat d’alors est tropical, le crocodile est dans nos contrées.
Beaucoup « plus près de nous » il y a 20’000 ans (!)
Le gisement paléontologique du Moulin Monod, exploré à la dynamite par Gabriel de Rumine et Philippe de la Harpe vers 1850, a fourni des fossiles de la flore tropicale de l’ère tertiaire. Revenons aux temps géologiques. Beaucoup « plus près de nous » il y a 20’000 ans (!) ; la dernière glaciation va alors donner sa forme au lac Léman et à ses abords: le glacier, qui culmine à 1400 mètres d’altitude et s’étend jusqu’à Lyon, entaille les molasses, créant les pentes du Dézaley. C’est le temps des mammouths et des premiers hommes. La zone de production du calamin dominée par le village d’Epesses n’est plus retenue par les roches de poudingue; aussi glisse-t-elle en un mouvement de bascule, des falaises de la Cornallaz jusqu’au lac, en particulier dans le bien nommé lieudit des Luges. Le sol y est constitué de molasses argileuses fines, avec des perforations, que lessivent les eaux de ruissellement. Les deux grands crus produits au Dézaley et en Calamin sont en particulier marqués dans leur goût par la différence de géologie du sous-sol de leurs terroirs, comme par le climat qui leur est propre en fonction de la pente, de leur exposition plus ou moins forte à la réverbération du lac. L’on a pu s’en persuader en dégustant un calamin offert par Anne Monbaron Fonjallaz, une des participantes à la course organisée par Armand Deuvaert, le samedi 19 septembre dernier.