L’Hermitage met en lumière un néologisme-impressionniste méconnu
Une visite à faire absolument, jusqu’au 30 octobre
Pierre Jeanneret | Qu’est-ce qu’on entend par néo-impressionnisme ? Les historiens de l’art ont abandonné le terme de pointillisme, d’ailleurs récusé par Paul Signac : « La division n’exige nullement une touche en forme de point. Sous peine de décoloration, la grandeur de la touche divisée doit se proportionner à la dimension de l’œuvre. La touche divisée, changeante, vivante « lumière », n’est donc pas le point, uniforme, mort, « matière ». L’essentiel est dans le divisionnisme, c’est-à-dire la juxtaposition de touches de couleurs pures. On la doit à Georges Seurat, dont le célèbre tableau La Grande Jatte avait en 1886 tant impressionné Achille Laugé (1861-1944).
C’est à la belle redécouverte de cet artiste trop oublié que nous convie la magnifique exposition de L’Hermitage ! Après des études d’art
académiques à Paris qui l’avaient déçu, celui-ci retourna en 1888 dans son village d’origine, à Cailhau, près de Carcassonne, dans la nature du pays cathare austère, bien éloigné des douceurs de la Provence et de la Côte d’Azur. Cela lui évita de devenir un sous-Seurat et lui permit de mener un travail pictural discret, personnel et original.
L’exposition débute par des portraits, un genre peu pratiqué par les artistes néo-impressionnistes. On admirera notamment le grand portrait en pied de Madame Astre, marqué par une monumentalité hiératique. Les personnages sont comme figés pour l’éternité. Ce qui les différencie des toiles des impressionnistes, qui voulaient capter l’instant présent: par exemple la femme marchant dans un champ de coquelicots de Monet, dont la robe et l’ombrelle font sentir l’effet du vent. Une autre salle est consacrée à un bel ensemble de natures mortes, qui se réfèrent à la fois au maître du genre, Henri Fantin-Latour, et au japonisme alors très à la mode. Les meilleures sont les plus épurées, montrant quelques fleurs dans un verre dont l’artiste a magnifiquement su rendre la transparence et les reflets, tel ce Petit Bouquet de coquelicots et marguerites de 1892.
Une vision contemplative et ordonnée
Mais le clou de l’exposition est au premier étage, avec les paysages de grand format. Notons en passant que la plupart des tableaux ont judicieusement été encadrés de blanc, ce qui met bien en valeur leurs couleurs. Les paysages de Laugé, tous situés dans les environs immédiats de Cailhau, témoignent d’une vision contemplative et ordonnée. Les figures humaines en sont absentes. Ils n’ont rien de « pittoresque », au sens étymologique du terme (« qui mérite d’être peint »). Faits de petits bâtonnets de couleur et non de points, ils témoignent par ailleurs du goût de l’artiste pour la composition rigoureuse : amandiers en fleurs ou arbres banals le long d’une route, peints dans les diverses saisons. On notera le goût de Laugé pour les « séries », qu’avait déjà pratiquées Monet avec ses meules de foin ou ses vues de la cathédrale de Rouen. Particulièrement remarquable est la toile L’Hort à Cailhau de 1902, qui montre une rangée d’arbres très dépouillés dont l’ombre s’étire sur le sol. En allant de plus en plus à l’essentiel, Laugé annonce l’évolution de Piet Mondrian de la figuration à l’abstraction.
Le deuxième étage de la maison de L’Hermitage, dont le cadre correspond particulièrement bien à la présentation de l’œuvre d’Achille Laugé, est consacré à des portraits de ses proches. En effet, les commanditaires bourgeois répugnaient à être portraiturés selon la technique divisionniste ! L’artiste a donc eu recours à sa famille et ses amis comme modèles. Ceux-ci l’ont d’ailleurs fidèlement soutenus financièrement.
Au sous-sol, le visiteur retrouvera des natures mortes, mais cette fois de fleurs et fruits. On observera la prouesse technique de la Nature morte aux pommes et grenades, où Laugé a réussi à superposer un verre transparent et un vase. Dans les volumes de ses fruits est perceptible l’influence de Cézanne. Puis, dans ses paysages et architectures des années 1920, on voit que l’artiste a été sensible à la libération de la couleur par le fauvisme. Une mention pour Fenêtre ouverte à Toulouse, qui donne sur les toits de tuiles de la « ville rose ».
Pour compléter l’exposition, la Fondation de L’Hermitage a eu l’heureuse idée de présenter un florilège d’œuvres de son importante collection. Dans la suite de Laugé, ces tableaux de Signac, Marquet, Vallotton, Bocion et bien d’autres sont tous consacrés au paysage.
Une visite à faire absolument, et qui est un régal pour l’œil !
« Achille Laugé. Le néo-impressionnisme dans la lumière du Sud »
Lausanne, Fondation de L’Hermitage Jusqu’au 30 octobre