Les gens du cru – Philippe Gaille, un des anciens meilleurs gymnastes suisses
Christian Dick | On croise tous les jours quelqu’un, dont on ne sait finalement pas grand-chose, quelqu’un qui à une période de sa vie en a été un autre. On connaît Philippe Gaille pour l’avoir croisé sur les routes sinueuses du vignoble, conduisant depuis 2014, au volant de son bus scolaire, les enfants d’une commune à l’autre. On peut aussi l’avoir rencontré dans une cave d’Epesses où il habite depuis 2011. Depuis 2003, il fait les vendanges chez Hegg ou livre du vin de la Maison Gaillard. Cet homme souriant et serviable qui donne volontiers un coup de main et véhicule les enfants s’occupe en rendant des services. Pipo à l’époque, P’tit Gris aujourd’hui, est né le 8 octobre 1951. A l’âge de 10 ans, il débute comme pupille à la société de gymnastique Lausanne-Bourgeoise. Mais sait-on qu’il a été en 1967 le meilleur espoir suisse en gymnastique artistique? La discipline compte six athlètes et six engins, le sol, les anneaux, le saut de cheval, le cheval d’arçon, les barres parallèles et la barre fixe. Lors d’une Fête cantonale vaudoise qu’il avait remportée, sa couronne ne lui a pas été remise du fait qu’il avait moins de 16 ans. Plus tard, il fut pénalisé pour ses cheveux longs par la Fédération internationale. Les 0,30 points de pénalité ne lui furent cependant jamais retranchés. En 1969, il intègre l’équipe nationale et devient champion suisse junior la même année, puis de même en 1970 et en 1971. Champion suisse junior trois ans consécutifs, cela ne s’était pas encore vu. Peu d’athlètes ont participé au Jeux olympiques. Sont sélectionnés les 12 meilleures nations au championnat du monde de gymnastique artistique qui précède d’un an les JO. Philippe a été sélectionné à trois reprises, aux JO de Munich en 1972, de Montréal en 1976 et de Moscou en 1980. Il a terminé 68e à Munich et a vécu, de loin, les sombres événements du terrorisme palestinien. Mais un parcours à un tel niveau n’est pas sans dommage. Il se rompt à deux reprises le talon d’Achille en 1974. Après deux ans d’interruption, il revient à la compétition et finit premier Suisse aux exercices imposés. En février 1976, l’année même de son retour, il se foule le pied à Johannesburg et doit, peut-être, son rétablissement à sa volonté et à son excellente résistance psychique. La devise des gymnastes n’est-elle pas 4F disposés en croix, pour Fier, Fort, Franc, Fidèle? Il est parvenu à réintégrer l’équipe nationale et à se qualifier malgré tout pour les JO de Montréal de 1976 où il se classe 28e. En 1978, il obtient le meilleur résultat individuel au sein de l’équipe suisse de gymnastique et se hisse au rang de champion suisse à La Chaux-de-Fonds. Il est le premier Romand à remporter ce titre après 43 ans de suprématie alémanique. C’est le meilleur souvenir qu’il garde de la pratique de son sport. En 1979, les Soviétiques envahissent l’Afghanistan. Une cinquantaine de nations boycottent les JO de Moscou de 1980, dont la Suisse pourtant qualifiée à la suite des championnats du monde de gymnastique artistique à Fort Worth, en 1979, au Texas. C’est après cette décision que Philippe Gaille quitte la compétition après avoir été durant 12 ans au plus haut niveau dans l’équipe suisse de gymnastique artistique. Le boycott des JO de 1980 a été une des raisons de son retrait, l’autre, qu’à 28 ans le temps était peut-être venu de raccrocher. La pratique du sport lui a permis de voyager dans toute l’Europe, Europe de l’Est comprise, aux Etats-Unis, au Canada, au Japon et en Afrique du Sud. Il reste néanmoins actif dans le sport puisqu’il enseigne à Macolin jusqu’en 1985 puis devient représentant en article de sport jusqu’en 2014. Des coupures de presse et des photographies remplissent deux classeurs fédéraux. Des plateaux supportant des médailles se superposent dans une caisse. Le classement est méticuleux, sans doute à l’image de l’ancien athlète. Il y manque la médaille fétiche qu’il tenait de son père, qu’il a longtemps portée avant de l’avoir perdue. Alors, lorsque nous croisons quelqu’un, demandons-nous s’il n’a pas eu avant, ou s’il n’a pas à côté, une vie telle que nous aimerions, nous aussi, en avoir une.