Les classiques de la littérature – Les structures sociales, masque du mal qui réside en nous
Sa Majesté des mouches, William Golding
Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau ou Sigmund Freud : nombreux sont les penseurs, écrivains, philosophes et psychologues qui se sont interrogés, au fil de l’histoire, sur la nature humaine et la place de l’inné et de l’acquis dans notre développement. L’homme naît-il fondamentalement bon et devient-il mauvais suite aux expériences et à l’influence de la société qui le façonne, ou bien est-il de nature sombre et mauvaise, et ainsi maîtrisé par ces structures sociales ? A quoi sommes-nous réduits sans l’immense place qu’occupe la société et ses règles qui nous guident au quotidien ? Il s’agit de cette question universelle, que le célèbre écrivain britannique William Golding a traitée d’une manière plus originale, sous forme de roman, intitulé « Sa Majesté des mouches » qu’il publia en 1954.
Je me souviens avoir découvert ce roman dans une bibliothèque pour enfants et avoir débuté la lecture des premières pages avec un regard simple et naïf : « Une histoire d’aventure sur des enfants naufragés, ça ne m’intéresse pas ! » me suis-je dit. Ce n’est que quelques années plus tard lorsque j’ai ouvert ce roman pour la deuxième fois, avec conscience, que j’ai pu me laisser immerger dans la richesse des allégories que ce récit philosophique propose.
Ce classique intemporel relate la tragédie d’un groupe de garçons britanniques, seuls survivants d’un crash d’avion, échoués sur une île déserte. Aucun adulte pour maintenir l’ordre, les enfants, d’abord enthousiasmés par cette liberté, réalisent vite qu’ils ne peuvent survivre sans s’organiser entre eux. L’un d’eux est élu chef et tente de recréer une civilisation, avec des règles et des assemblées. Mais petit à petit, dominés par la peur et leurs instincts primitifs, les garçons renoncent à cette organisation et la sauvagerie remplace progressivement l’ordre utopique imaginé, allant jusqu’à des actes de barbarie irréversibles.
Afin de décrire ce profond conflit entre les instincts primitifs et sauvages de l’Homme, et en contraste, la volonté de maintenir un ordre, l’auteur ne laisse rien au hasard. Chaque objet, chaque personnage est une allégorie minutieusement construite à travers des mots et des images simples. Il est parvenu à enrichir sa réflexion en symbolisant chacun des aspects de la société et des traits psychologiques humains. De la conque, symbole de démocratie, d’ordre et de civilisation, utilisée pour s’exprimer en assemblée, au personnage de Simon, image de la bienveillance, de la sagesse et des valeurs humaines, de nombreuses allégories de l’harmonie d’une société bien établie sont peu à peu effacées. Des figures sombres les remplacent, comme Jack représentant la sauvagerie et la soif de pouvoir ou encore le mystérieux monstre qui effraye les enfants, dont sa signification troublante apporte une hypothèse déroutante sur notre propre nature.
Ainsi, William Golding, tout en nous plongeant dans un récit d’aventure captivant, nous invite à méditer sur un sujet central de la philosophie. Il nous offre la possibilité de nous questionner sur nous-même afin de conscientiser cette part obscure enfouie en nous, prête à surgir sous la peur. En nous rappelant la fragilité des normes sociales, l’auteur soulève la nécessité de conserver ces structures afin d’encadrer nos pulsions primitives et de ne pas sombrer dans le chaos.
En effet, même sans être abandonné sur une île déserte, il suffit parfois de beaucoup moins pour voir notre instinct primitif nous dominer. Je ne peux m’empêcher de repenser à la période angoissante de la pandémie du Covid lorsque les pénuries révélaient par instinct de survie, la partie sauvage
et égoïste enfouie en chaque humain qui dévalisait les rayons des supermarchés…
Si, comme moi, vous avez d’abord ouvert ce roman en pensant qu’il ne s’agissait que d’une simple histoire d’enfants, je vous invite à le redécouvrir et à vous immerger, le cœur serré, dans ce récit profondément philosophique sur la nature humaine.