Les 90 printemps de Kitty Jordan
Pierre Jordan | En ce mardi 23 août 2016, une petite délégation de la Municipalité de Jorat-Mézières s’est rendue à la ferme de la Fontanettaz en compagnie du pasteur Nicolas Merminod pour «marquer le coup» du nonantième anniversaire de Kitty Jordan.
Katharine (son vrai prénom) Baumann naît à Nuremberg, d’un père suisse et d’une mère allemande. Sitôt après sa naissance, son cuisinier de père part au Pérou, plus précisément à Lima, pour officier comme chef de cuisine d’un grand hôtel nord-américain. Deux ans plus tard, une fois installé, il fait venir femme et enfant au pays des Incas, où Kitty passe des jours heureux jusqu’à l’âge de 12 ans, après avoir acquis et maîtrisé l’allemand à domicile, l’espagnol avec les copains et l’anglais à l’école.
Ses parents projettent alors de se séparer et Kitty, bien malgré elle, refait la traversée de l’Atlantique pour rejoindre sa grand-maman en Franconie, dans la petite ville de Schillingsfürst. Nous sommes en 1938, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Voyant la situation s’aggraver de jour en jour, son aïeule décide peu de temps après l’arrivée de Kitty, détentrice du passeport à croix blanche, de l’envoyer dans sa famille en Suisse, plus précisément à Leutwil, dans le canton d’Argovie.
Mais cette famille a décidément la bougeotte. Sa tante acquiert une maison à Meggen, non loin de Lucerne, où Kitty termine sa scolarité. Notons qu’au fil de son périple outre-Sarine, elle engrange sans difficulté les finesses de divers dialectes suisses alémaniques. Elle n’est toutefois pas encore rassasiée et se rend ainsi à Lugano pour y trouver du travail et apprendre l’italien. Durant son séjour au Tessin, elle profite de ses congés pour sillonner les routes au guidon de sa Vespa, n’hésitant pas à «pousser» de temps à autre jusqu’à Milan.
Un beau jour, c’est d’ailleurs sur son deux-roues qu’elle subit un léger accident qui l’a contraint au repos. Le destin veut alors que sa collègue et amie Pierrette Jordan lui propose de venir se reposer quelque temps en terres vaudoises, dans la ferme parentale de la Fontanettaz à Carrouge. Kitty y fait la connaissance de Michel, le grand frère de Pierrette.
On devine aisément la suite: ils se marient en 1953 et voient successivement naître Yves en 1954, Anne en 1956, puis Pierrot en 1958, ainsi surnommé car la place de Pierre est déjà prise par le grand-père. Depuis, Kitty conjugue les travaux du ménage et de la ferme, tout en veillant sur ses trois chérubins. Comme si elle n’en avait pas assez, elle réussit encore le tour de force de travailler à mi-temps comme secrétaire, tout d’abord chez Polyform, puis auprès de Vogelsang SA, ce jusqu’à sa retraite amplement méritée. C’est notamment grâce aux réels sacrifices de cette mère courage que l’ordinaire quotidien a pu être amélioré et que ses trois enfants ont pu effectuer des apprentissages.
Depuis 2001 et le décès de Michel, Kitty vit seule dans la ferme aujourd’hui inexploitée, écoutant des opéras le soir ou profitant la journée du moindre rayon de soleil dans son beau jardin, qu’elle a travaillé seule jusqu’à cette année. Malgré quelques bobos, dont deux assez sérieux, elle a chaque fois récupéré comme une jeune fille et, à la regarder, on en vient parfois à se demander qui est le vrai rayon de soleil. Plusieurs convives se sont d’ailleurs probablement posé cette question le dimanche précédent, lors d’une fête réunissant tous ses amis et sa famille, dont ses quatre petits-enfants, aujourd’hui adultes.
Bon anniversaire Kitty. Oups, je voulais dire Maman.