Le Musée de l’Elysée rend hommage à une grande dame de la photographie

Pierre Jeanneret | Martine Franck (1938-2012) est née à Anvers mais a grandi aux Etats-Unis, puis elle a regagné l’Europe. Dès 1963, elle effectue de grands voyages en Asie. C’est là que la photographie entre dans sa vie. En 1966, elle fait la connaissance du célèbre photographe Henri Cartier-Bresson (1908-2004), de trente ans son aîné, qu’elle épouse en 1970. Elle entre dans la prestigieuse agence Magnum. Loin d’être uniquement «la femme de», elle fait elle-même une brillante carrière de photographe. Elle est décédée à Paris en 2012.
La superbe exposition de l’Elysée présente une grande variété de sujets, ce qui contribue à son intérêt. On y trouvera des portraits, tous réalisés avec empathie. Notamment ceux de la metteure en scène Ariane Mnouchkine, sa grande amie saisie, concentrée, lors de la répétition d’une pièce de Shakespeare, d’écrivains comme Albert Cohen et d’artistes tels Balthus, Leonor Fini ou Henry Moore dans son atelier au milieu de ses sculptures. Martine Franck a photographié aussi des paysages, dont ceux de Long Island, au large de l’Irlande, une île pauvre, battue par les vents et les vagues. Elle a réussi à saisir la matérialité de la pierre, celle des falaises, des grottes ou des statues bouddhiques. On admirera son sens remarquable de la composition, qui procède souvent par oppositions: ainsi ce couple d’amoureux étendus sur l’herbe devant les tombes d’un cimetière, ou encore cette vue prise en Irlande et montrant un cheval au milieu d’un champ de fleurs, avec en arrière-plan les grues du monde industriel.
Mais c’est l’humain qui est au centre de ses préoccupations, qu’il s’agisse d’enfants jouant, de vacanciers, d’une vieille femme devant les nombreuses photos de son lointain mariage, de personnes âgées dans un hospice, dont on perçoit la solitude. On sent chez Martine Franck une tendresse pudique envers les êtres. Plus intimes bien que projetées sur grand écran, les photos croisées de Martine Franck et de son mari Henri Cartier-Bresson.
Elle a réalisé de grands reportages au Japon et en Chine, notamment au Tibet, où l’on mesure sa fascination pour le bouddhisme lamaïque. Elle fut aussi une photographe engagée. Ses prises de vue en Irlande traduisent la pauvreté de l’île. En 1968, elle a photographié des grèves ouvrières, qui ne sont pas sans rappeler les images que l’on a de 1936 et du Front populaire. Elle était acquise à la cause des femmes. On le voit dans une photo montrant une manifestation de soutien du MLF à la loi Veil sur l’avortement… avec au premier plan un bébé épanoui dans une poussette! Et ceci ne contredit nullement cela.
Martine Franck a dit: «Pour être photographe, il faut un bon œil, le sens de la composition, de la compassion et un sens de l’engagement.» Elle possédait toutes ces qualités, que l’on retrouve à travers son œuvre.
«Martine Franck», Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 5 mai 2019.

