Le Grec qui contribua à forger la Suisse moderne
Georges Pop | Le 25 mars prochain, la Grèce commémorera le bicentenaire de sa déclaration d’indépendance, proclamée, le jour de l’Annonciation, en 1821. En moins de dix ans, mais au prix de combats sanglants contre l’Empire ottoman, avec le concours des puissances occidentales, un premier Etat grec finira par voir le jour. Le moment de se souvenir, peut-être, qu’avant de devenir premier gouverneur de l’Hellade indépendante, le Grec Jean Capodistria joua un rôle déterminant, au lendemain des guerres napoléoniennes, dans la préservation des indépendances vaudoise et suisse. Il est l’un de ceux qui, loin des mythologies patriotiques, forgea une Confédération indépendante et neutre.
Après les guerres napoléoniennes, dont le tsar Alexandre Ier fut un des grands triomphateurs, les puissances victorieuses se réunirent en congrès à Vienne, en 1814, afin de redéfinir la carte de l’Europe. Le destin de la Suisse, disposée en Confédération vassale de l’Empire français, était pour le moins incertain. Fallait-il conserver ou dissoudre ce récent assemblage napoléonien ? Le démantèlement de la Suisse était une option sérieuse. Facteur aggravant : les émissaires suisses, invités à titre de simples spectateurs dans la capitale autrichienne, étaient divisés et affichaient leurs querelles au grand jour. Par bonheur, parmi les plénipotentiaires les plus influents du souverain russe se trouvait un diplomate originaire de Corfou, en qui le tsar Alexandre avait, depuis plusieurs années, placé toute sa confiance. Jean Capodistria connaissait et aimait la Suisse où il avait séjourné, à la demande de son maître, pour pousser le pays à s’extirper de l’emprise française. Mieux ! Le tsar avait de la sympathie pour le Pays de Vaud qui venait de s’arracher, en même temps qu’Argovie, de la mainmise bernoise, grâce à Napoléon. Le Vaudois Frédéric-César de La Harpe, appelé en Russie pour instruire les enfants du souverain russe, avait plaidé, dans les coulisses du palais, la cause de l’indépendance vaudoise. Le plus difficile pour le Corfiote fut de faire taire les dissensions confédérées, puis d’étouffer les revendications de Berne qui prétendait récupérer ses anciens dominions « Vous voulez Vaud ? Vous ne l’aurez pas ! Vous voulez Argovie ? Vous ne l’aurez pas !». Capodistria aurait même menacé l’ours bernois de radiation de la Confédération. Pour le reste, l’envoyé du tsar se dépensa sans compter pour garantir la cohésion, l’indépendance et la neutralité de la Suisse des XXII cantons, charpente de la Confédération moderne. La nouvelle Constitution, à la rédaction de laquelle il contribua, instaura pour la première fois une confédération de cantons unis pas un seul traité, et non plus par un enchevêtrement disparates d’allégeances et d’alliances. Ce n’est pas tout: au Traité de Paris, une année plus tard, notre Grec œuvra, malgré certaines réticences alémaniques, à l’incorporation de Genève à la Confédération, et poussa la France à céder au nouveau canton les communes de Collex-Bossy, du Grand-Saconnex, de Meyrin, de Pregny, de Vernier et de Versoix. Pour le remercier, Vaud lui offrit sa première citoyenneté d’honneur, et Lausanne, ainsi que Genève, le gratifièrent de leur bourgeoisie d’honneur. Dans la ville de Calvin, un quai porte son nom. Après sa répudiation par le tsar, Capodistria vécut d’ailleurs à Genève où il se lia d’amitié avec le financier Jean-Gabriel Eynard qui, enflammé par la cause de l’indépendance hellénique, y consacra une bonne part de sa fortune. Une fois l’indépendance grecque acquise, Jean Capodistria fut nommé gouverneur du jeune Etat. Il finira assassiné, victimes de l’une de ces querelles partisanes dont les Grecs ont le secret. Le 21 septembre 2009, un monument a été inauguré à Ouchy, le port de Lausanne, à la mémoire de cet habile négociateur, non loin du buste de Jean-Pascal Delamuraz. Gageons que le 25 mars, des Grecs d’ici, et peut-être quelques Suisses, iront y déposer un bouquet aux couleurs de leur pays respectif.
L’auteur
Né à Athènes en 1955, Georges Pop cumule les nationalités suisse et grecque. Voix connue, il y a peu encore, des auditeurs de la RTS, ce journaliste passionné d’histoire, qui collabore à notre journal, est notamment l’auteur des essais historico-satiriques Les Français ne sont pas Suisses et Chronique d’un petit immigré à l’usage des constipés (Ed. Cabedita).