Le chant de l’étrave
Christiane Bonder | Retour à Dakar (suite)
En passant dans la rue ensablée qui longe la plage, nous croisons Mme Madec. Nous la remercions encore pour l’hippocampe qui, à n’en pas douter, nous a porté chance… Comme il est l’heure de l’apéro, elle nous prie d’entrer chez elle, à deux pas.
Chez les Madec, l’heure de l’apéro où l’on sirote du whisky se renouvelle tout au long de la journée. Cela n’empêche pas Charles, son époux, d’être un armateur possédant une vingtaine de bateaux de pêche dans le port de Dakar. Les Madec viendront manger à bord de Christer un de ces prochains soirs.
Dix jours après, les Madec arrivent avec de bonnes nouvelles… Les bateaux de Charles partent souvent pêcher dans les eaux poissonneuses au large de la Guinée-Bissau. Avant que ceux-ci ne regagnent Dakar, leur cargaison est stockée dans les chambres froides de l’usine Semapesca à Bissau. Cette usine recherche un responsable pour l’exportation de poisson et de crevettes vers la France, les crevettes provenant des différents bras de rivières de Casamance et de Guinée-Bissau. Il y aurait également du travail pour une secrétaire… Bien sûr, nous sommes partants!… Cette soirée est un véritable cadeau pour nous trois, puisque Olivier reçoit un magnifique bateau en Lego. Lorsque nous nous quittons, nous convenons de nous revoir sous peu avec le patron de Semapesca, un Français de Lyon. C’est avec lui qu’il faudra régler les contrats et les papiers qui nous permettront d’entrer en Guinée-Bissau.
Pour nous qui vivons simplement, c’est à un véritable festin que nous sommes conviés près de l’aéroport de Yoff, à la terrasse d’un restaurant en bordure de mer. Le directeur de Semapesca nous explique les fonctions que nous assumerons, nous parle du désordre et du laisser-aller qui règnent au sein de l’entreprise. Il nous faudra ouvrir l’œil face au vol que les indigènes perpètrent sans scrupules et à la magouille qui sévit. Les pêcheurs de Casamance livrent directement leurs crevettes à Semapesca et sont rétribués à chaque arrivage. Nous aurons aussi une maison à disposition, ainsi qu’une voiture. Ces points précisés sont cependant suivis de mises en garde. La Guinée-Bissau figure parmi les pays les plus pauvres de la planète. La population ne mange pas toujours à sa faim, les denrées alimentaires essentielles manquent. Chacun se débrouille pour survivre, la mortalité infantile est énorme, l’accès aux soins médicaux est inexistant. Impossible de trouver un clou, une vis, un tube de dentifrice à Bissau… De plus, s’y rendre avec Christer nous est déconseillé. Les violentes tornades, le vol et le port non aménagé pour l’accueil d’un voilier devraient nous en dissuader. Nous arrêtons la date de notre engagement à début février 1984.
De retour sur Christer, nous vaquons aux divers préparatifs et, malgré les avis négatifs émis, décidons de nous rendre à Bissau en voilier. A Dakar, où laisser le bateau en sécurité? Le vol et les tornades y sévissent aussi… De plus, notre maison flottante contient tout ce dont nous avons besoin au quotidien et un avantage encore, non négligeable: la possibilité d’emporter des réserves alimentaires.
Nous disposons d’un mois et l’organisation va bon train. La coque de Christer a besoin d’un sérieux carénage car les anatifes réduiraient fortement son allure. Erik construira aussi une nouvelle annexe de sauvetage qui, à peine imaginée, se nomme déjà «Coquine de noix».
Nous profitons des marées et, Christer couché sur la plage, nettoyons en un jour la coque à bâbord, puis à tribord le lendemain. Les anatifes sont grattés à la spatule, la carène est ensuite polie puis recouverte d’une couche d’antifouling. C’est un travail pénible qu’il faut réaliser rapidement avant que la marée ne remonte. Nous passons ensuite aux achats et réserves de riz, farine, huile, conserves et boîtes de lait en quantités. Trois jours avant le départ, un élevage situé près de Hann nous fournit vingt poussins vaccinés, dont trois coqs et dix-sept poules. Nous leur achetons de la nourriture en sacs et les installons dans de grands cartons ouverts sur les couchettes de la cabine arrière. Le supermarché de Dakar nous offre en prime un poussin fort original. L’élu s’ébat dans un lieu qui grouille de poussins colorés. Tous ont été passés au spray et c’est un poussin bleu océan qui a notre faveur. Un volatile chanceux qui logera en 1re d’une croisière avec vue panoramique sur le monde céleste ou marin, selon l’état de la mer…