Le bonheur est chose légère…
Y en a point comme lui, par le Trio Coup d’Soleil au café-théâtre de La Voirie

« J’étais parti, loin du pays ; A la recherche du meilleur ; Tu es bien la plus belle ; Quand on revient d’ailleurs » chantait Henri Dès dans les années 1970 pour parler de son attachement à sa Suisse natale. Ce fameux Heimweh, retranscrit ici aussi élégamment que simplement, n’a rien de patriotique, ni de chauvin, il parle d’un besoin on ne peut plus compréhensible de retrouver ce cocon dans lequel on a grandi, ces paysages que l’on a traversés enfants, ces gens que l’on a fréquentés.
A l’heure de la Coupe du monde de football au Qatar, du commerce et de la culture mondialisés, n’aurait-on pas besoin, sans pour autant faire la nique au reste du monde, de nous reconnecter avec les choses simples de notre terre, avec les lieux et les humains qui nous sont chers ?
Et qui de mieux pour retrouver cela que le plus poète des Vaudois et le plus vaudois des poètes, j’ai nommé Jean Villard, dit Gilles ? C’est probablement dans cet esprit que le public du café-théâtre de La Voirie à Pully s’est déplacé pour assister ces 3 et 4 décembre aux deux représentations de Y en a point comme lui par le Trio Coup d’Soleil. Durant un peu plus d’une heure, les deux enseignants retraités que sont André Borboën (ténor) et Bernard Ducret (baryton), accompagnés tout aussi sobrement qu’agréablement au piano par Françoise Idzerda, y enchaînent une petite vingtaine de chansons de l’enfant de Vernex.
Premier défi, et non des moindres, celui du choix des chansons. Devant l’offre pléthorique de l’œuvre musicale gillienne, choisir, c’est renoncer ! Après une première sélection pour Près du ciel au septième!, sa première production qui l’a vu se produire près d’une centaine de fois, le trio a choisi de renouveler son répertoire pour cette nouvelle proposition scénique. Et loin d’être gloubiboulgesque, leur sélection a le mérite de retenir l’attention. Tout d’abord pour sa belle balance entre les classiques indécrottables (A l’enseigne de la fille sans cœur, Le Männerchor de Steffisburg, Les Trois Cloches,…) et les petites perles oubliées (Les plaisirs de l’Alpe, Les Amours des marins, Le Tapeur de cartons). Ensuite pour la part belle qu’elle taille aux petites « vaudoiseries » de Gilles, osant mettre de côté bien des classiques de sa période parisiennes (Le Petit Café-Tabac, La Belle France, Une nuit de Paris…) pour miser à fond sur son côté « terroir ».
Sachant mettre à profit les qualités narratives, poétiques et humoristiques de ce Ramuz de la chanson, les trois compères parviennent à recréer cette atmo-sphère toute intime qui sied au mieux à ces mélodies. Dans cette idée, La Voirie semble l’endroit rêvé, tant par sa taille, que par les quelques verres de blancs qui se vident sur les tables au fur et à mesure du récital. Car Gilles ne se chante pas n’importe comment. Il est aussi le symbole d’une époque où l’on préférait les petits caveaux aux grands Zéniths, la désirée de chasselas au faste des grands champagnes et les retrouvailles entre copains aux grandes foules d’anonymes. Et c’est là que repose la réussite de Y en a point comme lui, dans cette capacité à retranscrire une réelle complicité entre les artistes et leur public. Car de ces quelques airs ressortent émotions et chaleur. On se sent rassuré, serein, comme quand on rentre chez soi, au coin du feu, après une longue journée à l’extérieur.
A la mise en scène, Stéfanie Mango prouve une fois de plus, celles et ceux qui ont vu Cocotte Minute du groupe vocal féminin « The Postiche » en témoigneront, qu’elle est passée maîtresse dans l’art de corporaliser et de mettre en espace les performances vocales. La scénographie est sobre, efficace, la gravitation autour de ce tonneau plein d’astuces permet tout à la fois de changer d’univers et de mettre en valeur le travail des artistes. Une partition que le trio parachève subtilement. Car sous leurs dehors de chansons à boire, les textes de Gilles cachent une réelle complexité, tant sur le plan mélodique que sur le plan textuel.
Seul regret au sortir de ce moment d’évasion locale, celui de constater que le public présent a, sauf son respect, passé depuis longtemps l’âge de jouer aux billes. Comme si Gilles, malgré son actualité peinait un peu à passer le cap du XXIe siècle… Et si c’était pourtant par quelqu’un comme lui, que le lien entre générations était possible ?
