La petite histoire des mots – Jubilé
Une chronique de Georges Pop

Illustration © Arvid Ellefsplass
Georges Pop | Des millions de participants et plus d’un milliard de téléspectateurs ont assisté, la semaine dernière, aux grandioses célébrations du jubilé de la reine Elizabeth II, acclamée avec enthousiasme par ses sujets lors de son apparition au balcon de Buckingham Palace.
Dans le langage courant, le mot « jubilé » désigne généralement une fête célébrée en l’honneur de quelqu’un qui a rempli ses fonctions pendant cinquante ans, mais aussi l’anniversaire d’un événement dont les effets se prolongent dans le temps, par exemple un mariage heureux. Dans le cas de la reine d’Angleterre, il s’est agi d’un « jubilé de platine » qui a honoré les septante ans de son règne.
Le mot « jubilé » nous vient, à l’origine, de l’hébreux « yôbel » qui voulait sans doute dire « bélier » ou « corne de bélier » et qui, par extension, désignait aussi le son du cor. Ce mot, chez les juifs, a donné le mot « Yovel » qui désigne le jubilé hébraïque, une année qu’il est de bon ton de consacrer à Dieu et au repos et qui, tous les cinquante ans, était traditionnellement annoncé en soufflant dans un chofar, un instrument à vent fabriqué précisément avec une corne de bélier. En latin, ce mot a donné le substantif « jubilæus » qui désignait une « année de libération », au cours de laquelle les terres aliénées ou gagées devaient être rendues, les dettes remises et les esclaves libérés. Le « jubilé » fut adopté par l’Eglise catholique sous la forme d’une « Année Sainte » ou « jubilaire ». Elle consiste, tous les 50 ans, de commémorer avec un éclat particulier la naissance du Christ. Chaque « Année Sainte » est l’occasion d’un afflux exceptionnel de fidèles à Rome, les pèlerins bénéficiant, cette année-là, de rémissions de peines importantes.
La première de ces « Années Saintes » a été proclamée en l’an 1300 par le pape Boniface VIII, célèbre pour avoir porté à son sommet l’absolutisme théocratique de la papauté. Depuis la fin du XIVe siècle, à Saint-Jacques-de-Compostelle, des jubilés ont lieu toutes les années où le 25 juillet, fête de l’apôtre saint Jacques, tombe un dimanche. Au XXe siècle, les papes ont décrété des années saintes « extraordinaires », pour commémorer la résurrection du Christ. Le dernier Jubilé catholique a été célébré en l’an 2000 par le pape Jean-Paul II. La dernière « Année Sainte extraordinaire » a, elle, été célébrée par le pape François en 2016 sous le signe de la Miséricorde.
Malgré leur proximité morphologique, le verbe « jubiler » et l’adjectif « jubilatoire » n’ont aucun rapport avec le mot « jubilé ». Ils sont issus du verbe latin « jubilare » qui signifie ce réjouir. Chez les Romains, la syllabe « ju » se prononçait très vraisemblablement « you ». Selon quelques linguistes, notre « youpi ! » serait peut-être un descendant abrégé de « jubilare ». La plupart, cependant, considèrent que cette exclamation a plutôt été empruntée au XIXe siècle à l’anglais « whoopee » qui est l’expression d’une joie subite, ce qui est plus vraisemblable.
Notons encore qu’en droit belge, une « prime de jubilé », correspondant à trois mois de salaire. Elle est payée au salarié au bout de 25 ans d’ancienneté. Une pratique assurément « jubilatoire » pour toutes celles et ceux qui en bénéficient !