La petite histoire des mots
Quarantaine
Georges Pop | Face à la propagation du coronavirus, le gouvernement chinois a décidé, la semaine dernière, de «mettre en quarantaine» la ville de Wuhan et plusieurs autres localités. Ce sont ainsi plusieurs millions d’habitants qui se retrouvent coupés du monde, le mot «quarantaine» caractérisant, dans ce cas, la mise à l’écart des personnes, d’animaux, ou de végétaux durant un certain laps de temps, essentiellement dans le but d’empêcher la transmission de maladies contagieuses. Le mot, tout bêtement dérivé du nombre quarante, est attesté dans la langue française depuis le XIIe siècle et désignait – comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui encore – un espace de quarante jours. Au Moyen-Âge, le terme était en usage pour évoquer, par exemple, la «Sainte quarantaine», autrement dit la période de quarante jours du Carême, ce moment, pour les fidèles, de dévotion à Dieu et d’ascèse, introduit par l’Eglise en référence aux quarante jours de jeûne du Christ dans le désert. A la même époque, l’expression «quarantaine du roi» déterminait une période de quarante jours au cours de laquelle il était interdit à un seigneur de se venger d’une offense, pour lui laisser le temps de la réflexion et possiblement celui de l’apaisement. Ce n’est que plus tard que le terme «quarantaine» prit le sens d’isolement sanitaire, via la langue italienne. Après l’épidémie de peste noire qui, de 1347 à 1352, décima près de la moitié de la population européenne, la ville de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik), alors possession vénitienne, décréta que les navires en provenance des lieux infectés devaient observer un mois d’isolement avant d’accoster dans son port. Cette mesure fut ultérieurement étendue à tous les ports méditerranéens puis portée à quarante jours («quarantena» en italien), en référence à la théorie d’Hippocrate, médecin grec de l’Antiquité, selon laquelle une maladie aigue, comme la peste, ne survenait qu’après 40 jours. On sait aujourd’hui que cette théorie n’a aucune base scientifique. Mais c’est d’elle que provient aussi la croyance, répandue dans le monde antique, en particulier au Moyen-Orient, qu’une période de quarante jours est prescrite pour faire pénitence et se purifier physiquement et spirituellement. De nos jours, «mettre en quarantaine» signifie isoler une personne ou un groupe pour une certaine durée. Cet isolement peut avoir des mobiles médicaux, mais il peut aussi s’agir d’un bannissement social. Cette chronique serait naturellement incomplète sans rappeler que «une quarantaine» peut aussi simplement indiquer un nombre d’environ quarante et que «la quarantaine» désigne le plus souvent, dans le langage courant, un âge d’environ quarante ans. Les proverbes et les citations ne manquent d’ailleurs pas sur cette période de la vie que traversent les quadragénaires. Nous nous contenterons ici de rapporter cette phrase, joyeusement désespérée de la romancière française Pauline Sarélot-Le Floc’h: «Quand on a passé la quarantaine, on est pas moins débile qu’à l’adolescence». On veut bien la croire…