La petite histoire des mots
Missile
Georges Pop | Les tensions au Moyen-Orient, exacerbées par la guerre d’influence que se livrent dans la région du golfe arabo-persique les Etats-Unis et l’Iran, ont mis en évidence l’arsenal de missiles de tous types dont disposent les armées des deux pays. A quoi il faut ajouter le drame du crash d’un avion civil ukrainien qui a été abattu par erreur par un missile anti-aérien iranien. A priori, le mot «missile» pourrait passer pour très récent puisqu’il désigne une fusée autopropulsée et guidée, portant une charge explosive conventionnelle ou nucléaire. Ce terme qui semble si «moderne» a pourtant une antique origine: en latin, le vocable «missilis» s’applique en effet à toute chose qui peut être lancée, par exemple un projectile ou, dans un sens plus pacifique, à tout objet pouvant être envoyé, par exemple une missive. La «missive», qui est une lettre adressée à quelqu’un, et le «missile», qui définit une bombe expédiée par une fusée, sont d’ailleurs étymologiquement apparentés. Ils dérivent tous deux du verbe latin «mitto» qui veut tout simplement dire envoyer. Ce verbe a d’ailleurs donné aussi le mot composé «missi dominici», encore en usage parfois de nos jours sous sa forme plurielle, pour désigner les envoyés d’un seigneur ou d’un maître, chargés de s’assurer du bon accomplissement d’une tâche ou d’une mission. On notera au passage que le mot «mission», qui définit une charge donnée ou envoyée à quelqu’un, découle lui-aussi du verbe «mitto». Pour en revenir à notre «missile», le mot fit son apparition en l’état dans le moyen français, dès la fin du Moyen-Age, pour désigner une arme de jet, notamment un javelot ou une lance. Disparu de la langue française à la fin du XVIe siècle, il fut réintroduit au XIXe, emprunté à l’anglais qui en avait sauvegardé l’usage pour désigner une arme de jet. Ce n’est cependant qu’à partir de 1949 qu’il prit son sens actuel de projectile autoguidé ou téléguidé, les premiers missiles modernes, comme les tristement fameux V1 et V2 (de l’allemand Vergeltungswaffe: «arme de représailles»), ayant été utilisé, lors de la Seconde Guerre mondiale, par l’Allemagne nazie pour bombarder, dès 1944, l’Angleterre, notamment la ville de Londres, mais aussi, plus tardivement, la Belgique et la France. Il est intéressant de noter qu’au sens figuré, un missile définit de nos jours une agression déloyale, le plus souvent verbale, un coup bas ou un coup fourré. Dans son livre «Confidences à l’oreille d’un âne», l’auteur belge Frank Adam a écrit: «Les enfants sont les missiles nucléaires dans la guerre froide du divorce». Il parle sans doute d’expérience! On notera encore que, de nos jours, neuf pays possèdent quelque 17’000 missiles portant une charge nucléaire. Il s’agit des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, du Royaume-Uni, de la France, de l’Inde, du Pakistan, de la Corée du Nord et d’Israël. D’autres, comme l’Iran ou la Turquie, pourraient s’en doter. A eux seuls les Etats-Unis et la Russie en maintiennent environ 2000 en état d’alerte permanent, autrement dit prêts à être envoyées en quelques minutes sur une cible située sur n’importe quel point du globe. Pas très rassurant!