La petite histoire des mots
Paysan

Georges Pop | Réélu au Conseil national en octobre dernier sous les couleurs du PLR, Jacques Bourgeois, actuel directeur de l’Union suisse des paysans, a annoncé son départ de l’USP pour la fin mars de l’année prochaine. Ardent défenseur du monde paysan, il a promis de continuer à défendre sous la Coupole les intérêts du secteur agricole suisse. Il est intéressant de noter que le mot «paysan» avait au XIXe siècle une charge très péjorative qui lui colle encore à la peau. Au sens figuré, le dictionnaire de l’Académie de 1835 en donnait la définition suivante: «Un homme rustre, impoli, grossier dans ses manières et son langage». Pour ne pas heurter les travailleurs de la campagne, on parlait alors d’agriculteur plutôt que de paysan. Il fallut attendre les luttes paysannes des années 1930, en France, pour que «paysan» soit réhabilité dans la langue de Molière, sans pour autant se débarrasser complètement de son passé dépréciatif. En ancien français le mot s’écrivait «païsant», un dérivé du latin «paganus», désignant celui qui habite le «pagus» qui définissait un domaine rural où l’on travaillait la terre. C’est de ce terme latin que nous vient aussi le mot «pays» dont l’apparentement avec «paysan» est manifeste et qui définit le territoire d’une nation ou sa patrie lorsqu’il est précédé de l’article (ou du déterminant) possessif «ma». Peu nombreux sont ceux qui savent de nos jours que les mots «paysan» et «païen» sont intimement liés. «Païen» s’est lui aussi formé à partir du latin «paganus» qui signifie «paysan». Pourquoi ? Lorsque le christianisme devint la religion officielle de tout l’Empire romain, sous l’Empereur Constantin en 313, puis sous l’empereur Théodose Ier en 380, la diffusion de la nouvelle religion monothéiste se répandit très rapidement dans les grandes villes romaines mais les paysans, eux, restèrent encore longtemps fidèles à leurs traditions polythéistes qui furent ainsi qualifiées de «païennes», autrement dit de paysannes. Le mot «paganisme», dont l’affiliation à «paganus» est flagrante, fut ainsi employé dès le VIe siècle par les chrétiens pour désigner la religion de ceux qui n’étaient ni chrétiens ni juifs. Aujourd’hui. le mot définit plutôt l’ensemble des religions polythéistes de l’Antiquité. Ceci encore : l’auteur de ces chroniques se prénomme «Georges». Combien de Georges savent-ils que leur prénom veut dire… «paysan»? Ce nom de baptême nous vient en effet du grec et découle de deux mots à savoir «Gé» qui signifie «la terre» – d’où «géographie, la science de la Terre – et «ergon» qui veut dire «travail» – d’où «ergonomie», l’étude scientifique des conditions de travail. Le prénom signifie donc bien le travailleur de la terre, autrement dit le paysan. Ce prénom s’est popularisé grâce à saint Georges, mythique tueur du dragon, un martyr chrétien du IVe siècle. qui, en dépit de son prénom «cul-terreux», est devenu le saint patron de la chevalerie chrétienne, du royaume de Grande-Bretagne dès l’an 800, de la Géorgie et même des armuriers. De nombreuses localités ont d’ailleurs pris son nom. En Suisse, St-Georges est une jolie commune rurale du pied du Jura dans le canton de Vaud.