La petite histoire des mots

Au même titre que les huitres, le foie gras ou le saumon fumé, le caviar, malgré son prix exorbitant, figure parmi les mets les plus recherchées pour les tables des Fêtes. A l’approche de Noël et du réveillon du Nouvel An, les publicités fleurissent sur les réseaux sociaux et dans la presse pour vanter les saveurs de cet aliment de luxe élaboré à partir d’œufs d’esturgeon égrenés et salés. Aujourd’hui, les tarifs observés pour 100 g de caviar Beluga varient en moyenne entre 350 et 1300 francs selon la sélection.
La consommation des œufs d’esturgeons remonte très vraisemblablement à l’Antiquité. Mais ce sont les Byzantins qui introduisirent ce met en Europe, à l’époque médiévale. Le mot « caviar » apparaît en français sous la forme « cavyaire » dans les années 1430, sous la plume du voyageur et pèlerin bourguignon Betrandon de la Broquière, principalement connu pour ses récits de voyage au Proche-Orient. Manifestement, il n’apprécia guère le goût de ces œufs qu’il jugea peu ragoutant et de qualité plus que douteuse.
Dans l’un de ces écrits, où il témoigne de son aversion pour le caviar, on peut lire : « Et fu en ceste ville de Bourse où je mengeay premièrement du cavyaire avec l’uyle d’olive lequel, quant on n’a aultre chose que mengier, ne vault gueires que pour les Grecz ». Traduction : « C’est dans la ville de Bursa (ndlr : aujourd’hui en Turquie) où, pour la première fois, j’ai mangé du caviar avec de l’huile d’olive. Lorsqu’on a rien d’autre à manger, ce met est juste bon à (nourrir) les Grecs (ndlr : les Byzantins, de langue grecque, étaient appelés « Grecs » par les Occidentaux).
Le voyageur bourguignon a manifestement composé le terme « cavyaire » en s’inspirant du turc « kavyar », lui-même dérivé du persan « khāviār » qui signifie « porteur d’œufs ». La graphie actuelle, « caviar », apparaît pour la première fois sous la plume du grand François Rabelais, dans son roman Le Quart Livre, paru en 1552. L’écrivain et humaniste, qui a imaginé les personnages de Pantagruel et Gargantua, l’a sans doute emprunté au vénitien « caviaro ».
Le mot « caviar » nous a donné plusieurs expressions. « Caviarder », par exemple, trouve son origine dans les pratiques de censure de la Russie tsariste, au début du XXe siècle. Elle fait référence à l’utilisation d’encre pour supprimer des passages dans des articles de presse. Cette méthode a été associée au caviar, en raison de la couleur noire de l’encre et à l’origine russe des plus célèbres caviars de l’époque.
La plus connue de ces expressions est le néologisme « gauche caviar », apparue en France sous la présidence de François Mitterrand, dans les années 1980, pour désigner des milieux soi-disant progressistes qui ont le goût des mondanités. Ancien directeur du Nouvel Observateur et de Libération, le journaliste Laurent Joffrin a décrit cette gauche en ces termes : « une fausse gauche qui dit ce qu’il faut faire et ne fait pas ce qu’elle dit, une tribu tartuffe et désinvolte, qui aime le peuple et qui se garde bien de partager son sort. »
La comédienne et parolière Françoise Dorin avait clamé sa détestation de la « gauche caviar » en déclarant : « Je n’aime pas la gauche caviar. Je suis de la droite saucisson. »


