La petite histoire des mots
Zizanie

A en croire la presse suisse et internationale de ces derniers jours, le président américain Donald Trump a semé une belle «zizanie» en imposant ses taxes douanières à géométrie variable. «Zizanie» entre Washington et bon nombre de ses partenaires commerciaux; «zizanie» entre certains pays membres de l’Union européenne qui ne s’accordent pas sur la façon d’y répondre, et aussi, ici en Suisse, «zizanie» entre les partis politiques qui se divisent entre ceux qui exigent une ligne dure et les partisans du dialogue, mais aussi entre «souverainistes» intransigeants et supporters d’un rapprochement avec Bruxelles.
Le mot «zizanie» est synonyme de «discorde», de «brouille», de «conflit», etc. Quant à l’expression «semer la zizanie», elle veut dire «provoquer des disputes».
Contrairement peut-être aux apparences, le mot «zizanie» puise sa source en des temps très anciens. Il nous vient en droite ligne du sumérien, une langue parlée dans l’Antiquité en Basse Mésopotamie, aux IVe et IIIe millénaires av. J.-C. En sumérien, le mot «zizan» signifiait «blé». Mais en passant dans la langue araméenne (la langue du Christ), bien des siècles plus tard, peut-être autour du XIIe siècle av. J.C., ce mot pris le sens d’«ivraie», autrement dit de mauvaise herbe. On le retrouve avec ce même sens dans le grec «zizanion», puis dans le latin «zizania».
C’est à la parabole biblique du bon grain et de l’ivraie (zizania en latin) de l’Evangile selon Matthieu, qui fait allusion à l’origine du mal, que nous devons le sens moderne de «zizanie». Dans ce passage du Nouveau Testament, on peut lire: «Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie (zizania) parmi le blé, et s’en alla. Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie (zizania) parut aussi.»
En français, le mot «zizanie» est donc un emprunt au latin, et il est attesté dès le XIIIe siècle pour désigner l’«ivraie» ou la «mauvaise herbe». Son sens figuré de «hérésie», de «jalousie», puis de «dispute» ou de «brouille», est apparu plus tard, vraisemblablement dès le XIVe siècle, en référence à la parabole biblique de l’ivraie.
En 1970, le substantif «zizanie» connut un regain de popularité lorsque les auteurs de la bande-dessinée Astérix, René Goscinny et Albert Uderzo, dont les ouvrages étaient vendus à plusieurs centaines de millions d’exemplaires dans le monde, publièrent un album mettant en scène un intrigant rusé, sosie de l’acteur et réalisateur italien Roberto Benigni, nommé Tullius Detritus, et intitulé «La Zizanie».
Notons encore qu’en botanique, le mot «zizanie» désigne une famille de graminées aquatiques, cousines du riz, poussant dans les eaux douces et peu profondes d’Amérique du Nord et de Chine. Les «zizanies» américaines sont aussi appelées «zizanie du Canada», «zizanie des Marais» ou «riz des Indiens». La variété chinoise porte, quant à elle, le nom de «zizania latifolia». Contrairement à ses parentes du Nouveau Monde, seule sa tige est consommée comme légume.