La petite histoire des mots
Croisière

Bien que critiqué pour son impact sur l’environnement et le changement climatique, le secteur de la croisière est de plus en plus populaire. Selon un rapport de l’Association internationale des croisières (CLIA), publié la semaine dernière, 34,6 millions de vacanciers ont pris part l’année dernière à une croisière, soit une hausse de 9 % par rapport à 2023. Et ce n’est pas fini ! Le secteur prévoit de continuer sa progression avec près de 38 millions de passagers, en 2025.
Ce n’est que récemment que le terme « croisière » a pris le sens de voyage d’agrément effectué à bord d’un paquebot ou d’un navire de plaisance. Si l’on en croit le lexicologue et historien de la langue française Jean Pruvost, c’est en 1285 que le mot « croisière » fut attesté pour la première fois dans notre langue. Il désignait alors ce que, deux siècles plus tard, on appellera une « croisade », autrement dit, une guerre sainte conduite par des croisés, portant une croix sur leurs vêtements, leur armure ou leur bouclier.
Le mot « croisière » nous vient donc bien du mot « croix », issu du latin « crux » qui, avant de devenir un symbole chrétien, désignait un gibet fait de deux poteaux qui « se croisent » perpendiculairement. Partir en « croisière » vers la Terre Sainte, à la fin du XIIIe siècle n’était pas vraiment un voyage d’agrément
Vers le milieu du XIVe siècle, le terme « croisière » commença à désigner aussi le fait pour deux personnes de se « croiser ». Puis, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, très vraisemblablement sous l’influence du néerlandais « kruisen », qui signifie « naviguer de façon répétée », le mot « croisière » prit en français un sens maritime, démarquant le fait pour deux vaisseaux, de se « croiser ». Le verbe néerlandais « kruisen » est un dérivé de « kruis », la « croix », lui aussi issu du latin « crux ».
Les Hollandais étaient de grands navigateurs. Pour les puissances maritimes, il s’agissait, en ce temps-là, de parcourir les mers pour surveiller l’ennemi ; d’où le nom de « croisière » pour désigner une flottille de guerre. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’apparurent les premiers « croiseurs », un terme s’appliquant à l’origine aux frégates de l’ère de la navigation à voile qui, plus petites et plus rapides que les navires de ligne, sillonnaient les mers à la recherche de flottes ou de convois ennemis.
C’est seulement au début du XXe siècle, en temps de paix, que la « croisière » devint un voyage d’agrément à bord d’un paquebot. On est désormais bien loin des croix, des croisades et des croiseurs. Même si pour certains « croisiéristes » qui tombent – rarement il est vrai – sur des compagnies pourries, c’est parfois « la croix et la bannière » !
Cette expression qui témoigne d’une situation très pénible nous vient d’Italie. Elle faisait référence, dès le Moyen-Âge, aux grandes complications pour organiser une procession religieuse, la croix devant être brandie en tête, devant les bannières désignant respectivement la paroisse, la Vierge, les confréries, et les notables. Les formalités et les règles de préséance entre les participants étaient alors tellement compliquées, qu’il fallait vraiment se prendre la tête pour ménager toutes les susceptibilités.