La petite histoire des mots
Sabotage

Au lendemain du désastreux blackout qui, la semaine dernière, a paralysé l’Espagne, le Portugal et une partie du sud de la France, l’hypothèse d’un « sabotage » a été évoquée par les autorités de Madrid. Le mot désigne un acte volontaire destiné à détruire ou à détériorer du matériel ou des infrastructures. Il n’aura peut-être pas échappé aux lecteurs les plus diligents que le mot « sabotage » commence par le substantif « sabot ». Ce n’est pas fortuit, les deux termes sont effectivement intimement liés.
Le verbe « saboter », avéré sous cette forme, dans notre langue, dès le début du XVIe siècle, signifiait à l’origine taper du pied avec ses sabots, par exemple pour nuire à la prise de parole de quelqu’un. Dans un livre paru en 1996, intitulé « L’Interdiction du breton en 1902. La IIIe République contre les langues régionales », le journaliste, écrivain et chercheur français de langues bretonne et française Fañch Broudic rappelle ainsi que le curé du bourg de Commana, dans le Finistère était, par ce moyen, empêché de prêcher en français, les paysans venus dans son église faisant du « sabotage », c’est-à-dire du bruit avec leurs sabots en tapant sur les pavés.
Le mot a évolué par la suite pour désigner les actes des ouvriers en colère qui, pour revendiquer des congés ou des hausses de salaires brisaient les machines de leurs usines à coups de sabot ou, mais c’est une légende, en y jetant leurs sabots pour les bloquer. Le terme s’est ensuite étendu à tous les actes malveillants et destructeurs des groupes anarchistes du XIXe siècle. Jugé argotique, « sabotage » ne fut admis dans le Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré qu’en 1873. L’extension militaire du mot aux dommages infligés, en particulier clandestinement, pour perturber un ennemi date de la Première Guerre mondiale.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le mot « sabot » désigne une chaussure fabriquée d’un seul tenant dans un morceau de bois, en y creusant un espace afin que le pied puisse s’y glisser. Les sabots sont fabriqués par un « sabotier » et sa fabrication, qui s’appelle aujourd’hui « saboterie » était aussi désignée autrefois par le terme… « sabotage ».
Selon les linguistes, le mot « sabot » est apparu XIIe siècle, par l’étrange association de « savate » et de « bot », le masculin de « botte », en ancien français. Le substantif « savate » qui, de nos jours, désigne un vieux soulier serait issu de l’arabe « sabata », qui veut dire « chausser », ou du basque « zapata », qui signifie « soulier ». Son étymologie est incertaine…
Selon le regretté philosophe et écrivain roumain d’expression française, Emil Michel Cioran, « La Création fut le premier acte de sabotage ».