La petite histoire des mots
Colonel

Elu au Conseil fédéral, la semaine dernière, pour prendre la succession de Viola Amherd, le conseiller d’Etat zougois Martin Pfister a confié qu’il était plus familiarisé avec le préau des casernes qu’avec les coursives du Palais fédéral. Et pour cause : cet historien de formation a obtenu ses galons de colonel au sein de notre armée. En Suisse, le grade de colonel est le plus élevé parmi la classe des officiers supérieurs. Il précède ceux de brigadier, de divisionnaire et de commandant de corps qui appartiennent à l’ordre des officiers généraux, le titre de général étant attribué uniquement en temps de guerre.
Le mot « colonel » apparaît dans notre langue au XVIe siècle, emprunté à l’italien « colonnello », nom attribué au chef d’une colonne militaire, lui-même dérivé de l’italien « colonna » qui désignait une colonne de soldats. En latin, le terme « columnella », dont sont issus ces mots, désignait déjà une petite troupe mais aussi, en architecture, une petite colonne ou un pilier.
C’est en 1547, en France, que le roi Henri II introduisit ce grade en nommant au sein de son infanterie cinq « colonels et capitaines généraux des gens de pied ». Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, ce grade fut introduit dans notre pays au XVIIe siècle, au sein de la milice de l’ancienne Confédération. En 1647, le Conseil de guerre, constitué des chefs des différentes troupes cantonales, proposa la création de grades tels que « général commandant » ou « général quartier-maître ». Mais la Diète s’y refusa, en raison des divisions confessionnelles, et préféra le grade de « colonel » avec un qualificatif de fonction, tel que « colonel général » ou « colonel quartier-maître », engendrant ainsi une tradition durable.
L’usage veut que, lorsqu’on s’adresse à un « colonel » ou à un tout autre officier supérieur, on précède son grade par le mot « Mon » qui, dans ce cas, est le diminutif de « Monsieur ». En revanche, lorsqu’on lui adresse une lettre, on commencera bien par « Monsieur le Colonel ». A noter que le féminin « colonelle » existe depuis le XVIIe siècle. Avant de désigner une femme arborant ce grade, il qualifiait une compagnie. Sous l’Ancien Régime la « compagnie colonelle » était la première de chaque régiment.
Tombée quelque peu en désuétude, l’expression de camaraderie « mon colon » (diminutif de colonel) est issue de l’argot militaire de la fin du XIXe siècle. L’expression « Eh ben, mon colon ! », exprime quant à elle la surprise ou l’admiration.
Terminons en rappelant qu’un « colonel » est aussi un dessert composé d’un sorbet citron arrosé de vodka. Selon la légende, il doit son nom à un colonel de l’armée ottomane qui, au XVIIIe siècle aurait proposé une tasse de sorbet au sultan Mustafa III. Le sultan aurait tellement apprécié qu’il aurait rendu à l’officier la tasse remplie de pièces d’or. Peu vraisemblable !
En réalité, le dessert en question aurait tout simplement été nommé en l’honneur d’un colonel qui aimait particulièrement l’association sorbet citron – vodka, à tel point qu’il en commandait régulièrement dans un restaurant parisien. A défaut d’avoir laissé son nom à la postérité, il lui a laissé son grade…