La petite histoire des mots
Mafia

Mardi dernier, à Palerme, la police italienne a lancé un vaste coup de filet visant 183 membres de la mafia sicilienne dans le but, sinon de démanteler, au moins d’affaiblir les clans mafieux à l’œuvre dans toute la région. Pas moins de 1200 policiers ont été mobilisés pour cette opération massive coordonnée par le parquet de Palerme.
Le terme « mafia » désignait initialement le seul crime organisé sicilien, connu sous le nom de « Cosa Nostra ». Mais il peut s’attacher désormais à toute les organisations criminelles et secrètes ayant leurs propres lois et s’opposant à l’Etat de droit, comme les « mafias, napolitaine, calabraise, russe ou japonaise », par exemple. Ce mot nous vient bien de Sicile, mais il ne serait peut-être pas originaire de l’île. De plus, contrairement aux légendes siciliennes, il serait relativement récent.
Dans son « Dictionnaire du dialecte sicilien », le lexicographe italien Antonino Traina indique que le substantif « mafia » serait apparu pour la première fois dans les années 1860. Il aurait été introduit, lors du processus de l’unité italienne, par des Piémontais venus s’installer sur l’île. Dans le patois de ces « Nordistes », choqués par la pauvreté ambiante, « maffia » (avec deux f) voulait dire « misère ». Les Siciliens, à commencer par les « mafieux » eux-mêmes, se seraient aussitôt emparés de ce terme pour lui donner le sens de « bravoure », plus honorable, après l’avoir débarrassé de son « f » superflu.
L’explication venue du Nord étant jugée « malveillante », la plupart des Siciliens, à tort ou à raison, soutiennent que « mafia » est dérivé du nom arabe « mahyas », qui veut dire « vantardise ». Il aurait donné en sicilien l’adjectif « mafiusu » qui signifie « vantard » et qui, par extension, aurait pris le sens d’ « audacieux » ou de « brave ». Il faut se souvenir que les Arabes ont dominé la Sicile pendant près de deux siècles, influençant la langue et la culture locales, jusqu’à la conquête de l’île par les Normands en l’an 1061.
Reste l’affirmation selon laquelle « mafia » serait l’acronyme de « Morte Alla Francia » (Mort à la France), slogan dirigé contre la domination française au XIIIe siècle, auquel serait venu s’ajouter plus tard l’acronyme de « Italia Anela », l’ensemble donnant, sous la dépendance napoléonienne, le cri de ralliement « Morte Alla Francia Italie Anela », dont l’acronyme « MAFIA » voulait dire secrètement « L’Italie veut la mort de la France ». Parole d’historien ! Cette croyance est une pure invention, forgée dans d’absurdes anachronismes. Mais elle a la vie dure !
Il semble bien que le mot « mafia » apparaît pour la première fois en 1862, dans une comédie intitulée « I mafiusi della Vicaria », écrite en langue sicilienne par deux auteurs locaux, Giuseppe Rizzoto et Gaspare Mosca. La pièce connut un grand succès, évoquant la vie des truands palermitains détenus dans la prison de la ville, tout en mettant subtilement en lumière l’entrelacement ambivalent qui reliait le société insulaire à celui d’un monde criminel souterrain.
C’est à cette époque que les réseaux mafieux de l’île développèrent leur activités délictueuses, en réaction, notamment, au pouvoir centralisateur du jeune Etat italien. Mais bon nombre de Siciliens voient toujours en « Cosa Nostra » l’héritière romantique de mythiques « Robins des Bois » indigènes qui, selon eux, luttaient déjà contre les injustices au Moyen-âge.
Et, tous comptes faits , il vaut mieux ne pas les contrarier !