La petite histoire des mots
Abbé
Longtemps considéré comme l’une des personnalités les plus aimées des Français, l’abbé Pierre, accusé post mortem d’une longue série d’agressions sexuelles, n’est plus aujourd’hui qu’une icône déchue, son souvenir embarrassant même celles et ceux qui perpétuent son œuvre. La Fondation qui porte son nom n’a-t-elle pas annoncé la semaine dernière vouloir entamer des démarche pour changer au plus vite sa raison sociale ?
Dans l’église catholique le mot « abbé » désigne un moine élu par ses pairs pour gouverner un monastère, une abbaye ou une communauté canoniale. Dans les premières communautés monastiques, apparues à l’aube du christianisme, les moines s’en remettaient déjà à l’autorité d’un patriarche, considéré comme le représentant du Christ. Il était souvent appelé « abba ». C’est de ce terme qu’est issu le mot « abbé ».
En araméen, l’une des langues de la même famille que l’hébreux, parlée en Judée à l’époque du Christ, « abba » désignait familièrement le père. Ce terme, dont les origines seraient mésopotamiennes, était en quelque sorte l’équivalent de notre « papa » actuel. On retrouve d’ailleurs « abba », en caractères grecs, dans certaines versions du nouveau testament, puis en caractères latins, sous la forme « abbas » pour nommer certains moines vénérables.
En vieux français, le mots « abbé » fut adopté le XIe siècle, sous les formes « abet » ou « abez », pour désigner le supérieur d’une « abbaye », ce dernier terme, qui lui est évidement associé, s’appliquant dès la même époque à un monastère d’hommes. Le substantif « abbatiale » fit quant à lui son apparition au XIVe siècle, pour désigner les appartements d’un abbé puis, plus tard, le bâtiment principal d’une abbaye.
Dans certaines régions, au Moyen-Âge, un « abbé » était aussi, le chef de certaines confréries de jeunes gens qui organisaient des fêtes du village. Cette tradition est restée vivace en Suisse, et notamment dans le canton de Vaud, où une abbaye, présidée par un « abbé », est aussi une associatiation de tir sportif, ainsi qu’une fête villageoise organisée par une société de tir. Notre célèbre Fête des vignerons, organisée à Vevey une fois par génération, est d’ailleurs elle aussi dirigée par un « abbé-président ».
En parcourant cette chronique, et en découvrant le mot « abba » d’où nous vient « abbé », certains songeront peut-être, par association d’idées, au célèbre groupe suédois dont les chansons sont entrées dans la légende du pop. Mais en vérité, le nom de ce groupe n’a strictement rien à voir avec l’ancien mot qui signifiait « papa ».
Lors de leur formation, les musiciens suédois formaient deux couples mariés : Agnetha et Björn, Frida et Benny. Le nom du groupe fut simplement composé avec les initiales des prénoms de trois de ses membres. L’histoire raconte que l’ordre des lettres a même été choisi pour que les albums du groupe soient toujours en première place dans les bacs à disques.