La petite histoire des mots
Censure
La décision de la RTS, à l’instar de la RTBF belge, de Radio-Canada ou encore de Télé-Québec, notamment, de suspendre la diffusion des films de Gérard Depardieu, a mis les réseaux sociaux et la presse en ébullition. Pour les uns, cette décision est justifiée à l’endroit d’un « individu » qui est sous le coup d’une plainte pour viol et dont le comportement d’une rare vulgarité avec les femmes a été épinglé dans une enquête de France 2. Pour les autres, au contraire, la présomption d’innocence de cet immense acteur doit prévaloir. Ils dénoncent un acte de censure scandaleux. Cette vive polémique est encore alimentée par la prochaine votation sur le montant de la redevance qui fait peser de lourdes menaces sur la pérennité du service public en Suisse.
Le mot « censure » désigne à la fois l’action de condamner un texte ou une opinion, ainsi qu’une limitation partielle ou totale de la liberté d’expression par un pouvoir étatique, religieux ou privé, par exemple sur des livres, des organes d’information ou diverses œuvres d’art, avant ou après leur diffusion au public.
Le terme trouve son origine dans une institution de la République romaine, celle des « censores », deux magistrats chargés tous les cinq ans d’évaluer et de juger (en latin « censere ») les citoyens, pour les répartir en classes, selon leur richesse, et d’exclure des registres les citoyens de mauvaises mœurs. Le pouvoir des censeurs était absolu : aucun magistrat ne pouvait s’opposer à leurs décisions, seul un autre censeur pouvant les annuler, après leur avoir succédé.
Avec l’avènement du christianisme, la « censura » désigna un examen rigoureux imposé au nom de Dieu à certains fidèles par la hiérarchie ecclésiastique pour s’assurer de la « justesse » de leur foi. Le terme prit sa forme actuelle sans doute autour du XVe siècle. Avec l’arrivée de l’imprimerie, les livres étant devenus accessibles à tous, et échappant ainsi au contrôle de l’Eglise, mais aussi des pouvoirs politiques, des « censeurs », d’abord religieux, puis gouvernementaux, furent chargés de contrôler et d’autoriser ou non la publication des ouvrages.
A la fin du XIXe siècle, la censure trouva un visage, celui de Madame Anastasie, une vieillarde revêche armée d’une paire de ciseaux géants, accompagnée d’une chouette symbolisant, non pas la sagesse, comme chez les Grecs de l’Antiquité, mais la nuit et l’obscurantisme des censeurs. La création de ce personnage hargneux est attribuée à André Gill, pseudonyme de Louis-Alexandre Gosset de Guines, l’un des plus célèbres dessinateurs de presse de l’époque.
Alors que nous sommes quotidiennement assaillis d’informations, parfois fausses, il n’est sans doute pas inutile de se souvenir de cette phrase du grand écrivain italien Umberto Eco, prononcée il y a déjà 30 ans : « L’excès d’information équivaut au bruit. Le pouvoir politique dans nos pays l’a bien compris. La censure ne s’exerce plus par rétention ou élimination, mais par profusion. Pour détruire une nouvelle, il suffit aujourd’hui d’en pousser une autre juste derrière. »