La petite histoire des mots
Duel
En politique, on parle souvent de « duel » lorsque deux candidats se disputent une élection, lors d’un choc frontal. Ce sera le cas, par exemple, dans le canton de Vaud, le 12 novembre prochain, entre le radical Pascal Broulis et le vert Raphaël Mahaim, pour le second tour de l’élection au Conseil des Etats. Avant de désigner un affrontement politique ou idéologique, le mot « duel » définissait surtout le combat singulier entre deux adversaires, dont l’un demandait à l’autre réparation d’une offense par les armes, que ce soit à l’épée ou au pistolet, en présence de témoins.
En français, ce terme est attesté dans la littérature sous la forme « duelle » à partir de 1556, puis dans sa forme contemporaine, un siècle plus tard. Il est issu du latin médiéval « duellum » qui désignait un combat d’homme à homme, lui-même dérivé d’un terme identique qui était la forme archaïque de « bellum », le mot latin pour « guerre ».
Absents chez les Grecs, sinon sous une forme oratoire, ainsi que chez les Romains, si l’on excepte ceux organisés entre gladiateurs pour distraire le peuple, les duels étaient une pratique courante chez les peuples germaniques de l’Antiquité pour régler leurs disputes. Sous les Mérovingiens, puis les Carolingiens, cette tradition se perpétua au Moyen-Âge, notamment par la pratique du « Jugement de Dieu », les adversaires prenant le Créateur à témoin de la justesse de leurs paroles, avant de se battre, selon des règles établies par le pouvoir et l’Eglise. Les historiens rapportent même que dans le droit germanique du XVe siècle, mari et femme s’accusant l’un l’autre pouvaient se lancer dans un duel, le « divorce par combat », à l’issue fatale pour l’un des deux protagonistes.
A partir du XVIe siècle, les duels devinrent une véritable mode en Europe occidentale. Sous l’influence des maîtres italiens, l’épée en devint l’arme quasi-exclusive. On se battait pour l’honneur, sous les prétextes les plus futiles, et parfois même sans raison valable, pour prouver sa dextérité. Devant l’hécatombe de gentilshommes, et même de bourgeois, résultant de cette pratique, les duels furent interdits par plusieurs souverains. Ce fut le cas, en 1679 par exemple, lorsque le roi Louis XIV les abolit, ce qui n’empêcha en rien cette pratique de perdurer, même jusqu’à un passé récent.
Pour mémoire, en France, le dernier duel à l’épée a opposé… en 1967, deux parlementaires : Gaston Defferre, alors maire socialiste de Marseille, et le gaulliste René Ribière, élu du Val-d’Oise. La veille, lors d’un débat houleux à l’Assemblée, alors qu’il était sans cesse interrompu, Gaston Defferre avait apostrophé son collègue en lui criant « Taisez-vous, abruti ! ». Se sentant offensé, René Ribière choisit l’épée pour défendre son honneur, en dépit du fait qu’il n’en avait jamais touché une. Le 21 avril au matin, trois assauts et deux estafilades plus tard, l’arbitre arrêta le combat, Ribière, qui devait se marier le lendemain, souffrant de deux blessures sans gravité.
Pour conclure, il est cocasse de noter que certains auteurs utilisent le mot « duel » pour évoquer les rapports conjugaux. C’est le cas du dramaturge Emile Augier pour qui « Le mariage est un duo ou un duel » ; ou encore de l’humoriste Sacha Guitry qui constate : « Pour se marier, il faut un témoin, comme pour un accident ou un duel » …