La petite histoire des mots
Pharmacie (Pharma)

Réunis vendredi dernier en assemblée générale extraordinaire, les actionnaires du géant de la pharma Novartis ont approuvé le projet de séparation d’avec Sandoz, la division du groupe bâlois spécialisée dans les génériques. L’opération sera finalisée ces prochaines semaines. Le mot « pharma » qui désigne les grands groupes pharmaceutiques, est un apocope de « pharmacie ». En linguistique, l’apocope désigne l’action de couper la fin d’un mot, par confort ou par paresse. « Ciné », par exemple, est un apocope de « cinéma » qui est lui-même un apocope de « cinématographe ».
Voilà qui nous amène au substantif « pharmacie » qui a une longue histoire. Le terme « farmacie » est attesté en français dès le début du XIVe siècle. Il nommait alors une purgation à l’aide d’un remède ou d’une drogue. « Pharmacie » prit sa forme grammaticale actuelle à peu près deux siècles plus tard, pour définir la science des remèdes et des médicaments. Le bas-latin « pharmacia », d’où est issu le mot français, définissait, quant à lui, l’ensemble des médicaments. Il avait été emprunté au grec « pharmakon » qui désignait un médicament ou… un poison.
Dans son livre « La chronique médicale », publié en France en 1935, le médecin et historien suisse E.-A. Grandjean-Hirter poussa la recherche étymologique encore plus loin. Selon lui « pharmakon » serait l’assemblage de la racine indo-européenne « pharm », qui signifie « chaud » (d’où serait issu le mot allemand « warm »), et du grec archaïque « akon » qui, dans les poèmes homériques, avait le sens de « remède ». Selon lui, le « remède chaud » des anciens serait donc une décoction aux vertus curatives.
Les étymologistes grecs contemporains ne sont cependant pas tout à fait de son avis. Pour la première partie de « pharmakon », ils penchent plutôt pour la racine égyptienne « pahr » qui voulait peut-être dire « remède » mais désignait surtout « quelque chose de magique ». Notons d’ailleurs que la magicienne Circé, dont Ulysse partagea la couche lors de son long voyage de retour vers Ithaque, était aussi surnommée « polyphármakos » dans le récit d’Homère, c’est-à-dire « experte en toutes drogues ou poisons (propres à opérer de transformations) ». Faut-il rappeler qu’elle avait transformé certains compagnons d’Ulysse en porcs, avant de leur rendre apparence humaine, à la demande de son amant.
Pour l’anecdote, le docteur Grandjean-Hirter n’était pas seulement féru d’étymologie. Il fut cité dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel et du vignoble neuchâtelois, dans son édition du 12 septembre 1932, pour ses recherches sur l’alimentation des hommes préhistoriques. Au risque d’épouvanter les véganes actuels, il y affirmait que nos ancêtres engloutissaient jusqu’à cinq kilos de viande par jour et par personne, et qu’ils chassaient des chevaux, des bisons, des élans et des cerfs qu’ils disputaient aux lions, aux ours, aux panthères et aux hyènes qui, selon lui, infestaient nos forêts.
Dans cette même édition, on trouve aussi une petite annonce promouvant la « Céphaline », produit par Petitat SA, une entreprise pharmaceutique d’Yverdon (pas encore les-Bains), aujourd’hui disparue. Ce remède « sans effets nuisibles » avait parait-il la vertu d’apaiser migraines, douleurs, fièvres, maux de dents, grippe, etc. « Effet merveilleux, sans danger. Fr. 1,75 la boite » , précise la publicité de l’époque.