La petite histoire des mots
Sultan
Reconduit pour cinq ans à la tête de la Turquie, à l’issue des récentes élections présidentielles, Recep Tayyip Erdogan triomphe une fois de plus, au grand dam de ceux qui espéraient sa défaite. Par dérision, le chef de l’Etat turc est souvent qualifié de « sultan » par ses adversaires qui n’ont de cesse de dénoncer son système répressif, ses méthodes autoritaires, sa nostalgie de l’empire ottoman dont il rêve ouvertement de restaurer la puissance, ses connivences avec la Russie de Poutine, ainsi que sa mégalomanie, incarnée par le palais de 300’000 mètres carrés et de plus de mille pièces qu’il a fait bâtir pour lui en 2014.
Le mot « sultan », qui désigne un souverain ottoman ou un chef musulman, est apparenté à l’hébreux biblique « šilţōn » qui signifie « puissance ». On retrouve aussi son équivalent dans le syriaque, une très ancienne langue sémitique appartenant au groupe des parlers araméens. On rappellera que Jésus parlait généralement en araméen à la foule de ses fidèles, une langue qui, de son temps, était majoritaire en Galilée. Il n’utilisait l’hébreu que dans les lectures ou dans les disputes bibliques et théologiques.
C’est au Xe siècle qu’apparait le titre de « sultan » dans le monde arabo-musulman. En concurrence avec les califes de Bagdad, le chef turkmène Yamîn al-Daoulâ Abu al-Qasim Mahmoud Ibn Soubouktigîn, mieux connu en Occident sous le nom moins abondant de Mahmoud de Ghazni, plus facile à mémoriser, s’attribua le titre de « sulţān », alors qu’il régnait sur un vaste empire centré sur l’actuel Afghanistan. Ce terme qui, à l’origine, voulait dire « pouvoir » en arabe, prit le sens de « souverain » en turc ottoman.
En français, « sultan » est attesté dès le XVIe siècle pour désigner le maître de l’Empire ottoman, alors en pleine expansion, appelé aussi « Grand Turc » pour le distinguer des autres sultans de son vaste empire. Sa capitale était Constantinople, tombée entre les mains des Ottomans en avril 1453, marquant la disparition de l’Empire byzantin, héritier de l’Empire romain d’Orient, et l’assujettissement ou la conversion à l’islam des populations chrétiennes des Balkans et d’Asie mineure.
Au fil des siècles qui suivirent, dans la langue de Molière, « sultan » devint synonyme de despote ou de tyran et désigna aussi un homme qui entretenait de nombreuses maîtresses. A la fin du XVIIIe siècle, un « sultan » était aussi un meuble de toilette réservé aux femmes consistant en une corbeille garnie de soie dans laquelle on rangeait les gants, les éventails et d’autres produits de toilette, ou encore un sachet rempli de plantes aromatiques que l’on plaçait dans les coffres à linge.
Le substantif « sultane » désigne la première épouse ou la favorite d’un sultan. Dans les pays turcophones, « Sultan » est un prénom assez courant. En Occident, il est plutôt prisé par les propriétaires de grands chiens, tels les bergers et les dogues allemands, ou les dobermans, pour nommer leur compagnon, mais aussi par les propriétaires de gros matous, ceux par exemple qui passent leur journée à somnoler sur de gros poufs confortables.