La petite histoire des mots
Champion
Georges Pop | Au risque d’agacer passablement de Romands exaspérés par la traditionnelle vantardise toujours si fervente de notre inénarrable mais respectable grand voisin tricolore, les Bleus ont donc fini par accrocher sur leur maillot cette deuxième étoile sur laquelle ils louchaient comme un mouflet glouton devant un sucre d’orge. Les voici champions du monde! Pour sûr qu’ils vont crânement s’applaudir pendant les dix prochaines années, voire au-delà! Reste que sous l’angle sportif, il n’y a rien à dire: cette équipe fut remarquable et incarne l’efficacité des assemblages multi-ethniques que quelques-uns, en Suisse et ailleurs, répudient dans un élan bien plus écœurant que le chauvinisme gaulois. Champion! Voilà un mot bien français… Il apparaît pour la première fois sous une forme écrite et dans sa forme médiévale de «campiuns» dans la Chanson de Roland, au 11e siècle. Le mot révèle un guerrier hors pair et découle du bas latin «campio», lui-même dérivé de «campus», autrement-dit le champ et, par extension, le champ de bataille. Au Moyen-Age, le champion désignait le plus souvent un combattant choisi pour un combat singulier, pour relever un défi périlleux, ou pour défendre un parti, voire un souverain. Il est intéressant de noter que cette vieille racine latine, empruntée également par le vieil allemand, a donné jadis chez nos compatriotes ou voisins germanophones «champfan» et «kempen» qui ont accouché en allemand moderne de «kämpfer» (combattant) et de «kämpfen» (combattre). Quant à l’anglais «champion», jumeau du nôtre, eh bien il a bien été emprunté au français dès le Moyen-Age et non le contraire, comme peut-être pourraient le craindre les allergiques au débordant franglais. De nos jours, champion désigne un sportif aux exploits avérés, mais aussi le plus habile dans une activité ou, plus idéologiquement, l’ardent défenseur d’une cause. Et comme le mot a pris métaphoriquement celui aussi de «défenseur de la famille», il est devenu, en France, un fréquent nom de famille. Selon la statistique, plus de 130 mille personnes, dans l’Hexagone, s’appellent Champion. En Suisse, romande ou alémanique, ils ne sont que quelques centaines, issus souvent de l’immigration récente mais aussi parfois ancienne. Quant à ceux des Français, aux deux extrémités de l’éventail idéologique, pétris de cocoricos qui passent leur temps à pester, par exemple contre l’Allemagne, peut-être devraient-ils se souvenir que leur pays porte un nom d’origine germanique. La France tire en effet son nom du latin médiéval «Francia», autrement dit le pays des Francs; terme directement dérivé de «Frank» qui en germain francique désignait les Francs qui ont conquis la Gaule. Le mot voulait dire «homme libre». N’est-il pas cocasse de relever la parenté étymologique entre France, Frankfurt (Francfort) qui désignait jadis le gué des Francs et le prénom Franck (François) ou Frank si cher à passablement de Vaudois. En Gaule conquise, les Francs étaient les nobles. Ils s’attribuaient passablement de vertus; celles notamment de la droiture, du courage et de la… franchise. Mais oui! C’est bien à eux que l’on doit aussi l’adjectif «franc» qui définit une personne sincère, droite, honnête, voire fidèle. Les Francs l’étaient-ils vraiment? Ah! Poser la question n’est-ce pas y répondre?